Critique6. Oktober 2020 Lino Cassinat
«Un pays qui se tient sage» - Anatomie de l’obscène
Journaliste de formation ayant notamment contribué à la fondation de Mediapart, David Dufresne se consacre depuis le milieu des années 90 à l’observation de la police et ses dérives mettant à mal les libertés publiques, particulièrement visibles depuis deux ans. «Un pays qui se tient sage», son premier long-métrage de cinéma, confronte intellectuels et victimes de violences policières aux images insoutenables des bavures les plus marquantes de ces deux dernières années. Des images que tout le monde a vu, mais que personne n’a regardé.
En octobre 2018 éclatait en France le mouvement des Gilets jaunes, que le gouvernement français et sa police répriment aussitôt avec une remarquable brutalité, notamment grâce à un usage intensif d’armes non létales provoquant d’atroces mutilations. Mains arrachées filmées par un téléphone, yeux crevés en plein live Facebook... le peuple français découvre avec horreur et indignation les violences policières modernes via les réseaux sociaux. Elles ne datent pourtant pas d’hier et ne sont pas accidentelles, au contraire. Elles sont le fruit d’une politique de répression qui pousse aux débordements et servent un but politique précis, contraire à ce que l’on pense être naturellement la mission de la police, censée protéger les gens.
En effet, celle-ci ne protège pas le peuple, à l’inverse, elle protège le pouvoir et ses institutions du peuple sur lequel il gouverne et exerce son autorité. Une différence fondamentale, qu’«Un pays qui se tient sage» fait éclater aux yeux de tous avec une clarté et une évidence brutales. David Dufresne réussit un exploit monumental: par la puissance des images, il parvient à exposer les tenants et les aboutissants d’une perversité sociologique extrêmement complexe avec une limpidité telle que tout commentaire de son film ne peut être que de la paraphrase. En 90 minutes, «Un pays qui se tient sage» retourne la logique du panoptique contre un appareil d’état qui en est le principal usager, à tel point que l’on se demande comment est-il possible que personne n’ait songé à filmer et surveiller les surveillants plus tôt.
«Un film surpuissant, qui devrait être vu par tous et qui pourrait changer votre vie...»
Des surveillants qui, lorsqu’ils sont eux-mêmes interrogés par le film et sont confrontés aux images des collègues, ne trouvent pas les mots pour qualifier ce qu’ils voient, à l’image de ce délégué syndical de la police, seul représentant de la profession ayant accepté de participer au film. Ce qu’on découvre de ces images dit tout de la perfidie de l’ordre établi, montre tout des corps éclatés qu’il engendre sans ciller, mais aussi du dévoiement de tout un corps de métier armé.
Trop presque, au risque de rendre le film un tantinet trop discursif et professoral, notamment lorsque la parole se concentre plus sur les intellectuels intervenant dans le film plutôt que sur les victimes et leurs proches. Reste que c’est bien un sentiment de confusion traumatique désespéré qui domine le spectateur face à «Un pays qui se tient sage», auquel s’ajoute bien rapidement un écœurement à la limite du vomitif face à tant d’obscène projeté à l’écran. Ne vous y trompez pas cependant: c’est bien le signe qu’«Un pays qui se tient sage» est un film surpuissant, qui devrait être vu par tous et qui pourrait changer votre vie.
5/5 ★
Au cinéma le 7 octobre. Plus d'informations sur «Un pays qui se tient sage».
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