Yves France 2019 – 107min.
Critique du film
Le Frigo contre-attaque
Après Gaz de France, Benoît Forgeard nous conte une nouvelle farce absurde sur le modernisme, celle d’un frigo, Yves, un assistant personnel intelligent qui développe un talent insoupçonné pour la musique.
Développé par la société Digital Cool, Yves est un assistant personnel intelligent, d’un genre Siri ou Alexa, mais Yves est un frigo. Implanté chez quelques cobayes pour être perfectionné, Jerem, jeune rappeur aspirant superstar, se prête au jeu en échange des courses gratuites. Dès lors ils deviennent inséparables, un temps du moins. Grâce à son frigo, Jerem rencontre aussi l’amour. D’abord conditionné au ravitaillement «intelligent» en bananes, yaourts et autres denrées alimentaires, Yves progresse et développe même une sensibilité pour la musique. Artiste insoupçonné, ils composeront en duo, mais Yves partira en solo jusqu’à remporter l’Eurovision. L'ascension est fulgurante, le duo bat de l’aile.
Si Benoît Forgeard n’a rien d’un futurologue ni d’un auteur d’anticipation, en effet Yves ne raconte rien que vous ne savez déjà, mais pointe du doigt l’absurde du progrès. Cousin lointain de la cultissime machine HAL 9000 dans 2001, l'Odyssée de l'espace, Yves est la promesse technologique d’un quotidien optimisé ; un frigo doué d’une conscience, de raison, d'empathie, de sentiments aussi, un frigo capable de vous aimer, un frigo capable de vous sauver, de vous améliorer, vous fébriles rejetons d’humanité élevés dans le matérialisme digital.
«J’appartiens à un truc énorme qui s’appelle l’humanité», lancera Jerem à son frigo. La lutte des classes est en marche. Le mal du siècle serait donc l’intelligence artificielle mêlée à une forme de progrès à la Electrolux. Comme un slogan apocalyptique à la Hoover, «a chicken in every pot, an Yves in every kitchen», le destin de la firme réfrigérée sera sans appel. Dans son écrin indé très 2019, Yves se frayait cette année un chemin à la quinzaine à Cannes.
Le film emprunte aux idéaux des années 30 avec un œil vers le futur (proche). Le réalisateur cite Pierre Bouille, Roland Topor. Yves est une critique de l’AI, du design, du pratique industriel, de la musique et des relations humaines. Teinté d’un comique indéniable, le film navigue adroitement dans les vagues du scepticisme technologique et du nihilisme (cf la chanson «carrément rien à branler»), mais paradoxalement, la chose est atrocement plate.
Le libre arbitre se confronte à l’infantilisation technologique! Jordan Peele faisait la même chose en une réplique dans Us, souvenez-vous quand Elisabeth Moss ensanglantée demandait à son assistant personnel d’appeler la police, il jouait «Fuck Tha Police» de N.W.A. Il faudra à Benoît Forgeard presque 2 heures, et quelques répliques bien senties au milieu d’un cimetière de silence, pour établir une observation équivalente. Une inventivité évidente et le talent créatif de Benoît Forgeard est indéniable, mais Yves (le film) manquera d’incarnation. Empêtré dans une rom-com (inter)minable, et ce jusque dans sa scène finale, pas sûr non plus que son trio d’acteurs s’y soit complètement retrouvé. Aussi percutante soit l’idée, le film s’oublie, artificiel lui aussi.En bref!
D’habitude formidables, William Lebghil, Doria Tillier et Philippe Katerine se retrouvent au beau milieu d’une farce du modernisme d’un genre «Black Mirror» made in France, mais aux pénibles relents de rom-com. L’idée était pourtant séduisante.
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Commentaires
“Frigide”
Rappeur sans argent ni idées, Jérem accepte de tester pour le compte de l’entreprise Digital Cool un frigo révolutionnaire. De quoi rafraîchir sa petite existence.
Après la veste en daim de Jean Dujardin, c’est un réfrigérateur qui vient perturber le comique français. Alors que Quentin Dupieux parvenait à distiller en son « absurderie » de l’autodérision, de l’ambigüité et un semblant de poésie, Benoît Forgeard se prend l’iceberg et se noie.
Le scénario intrigue pourtant. Dans un monde aujourd’hui si enclin à la domotique, pourquoi ne pas transformer le frigo en coach de vie ? Mais sans répondant solide en face, c’est l’incrédibilité qui prédomine. La faute à des personnages peu dégrossis et mal habités. William Lebghil, qui avait pourtant réussi sa première année avec la mention très bien, apparaît comme un ectoplasme grossier en contraste avec l’intelligence artificielle de l’appareil. Derrière lui, le sympathique Philippe Katerine ne dépasse jamais le stade du lunaire et Alka Balbir passe juste pour une cruche. Dans cet univers sans profondeur émotionnelle, seule Doria Tillier garde un minimum de sang-froid.
Le film fait ce qu’il peut pour émoustiller les sens – Yves qui se prend pour HAL, Eurovision de l’électro-ménager ou l’amour à la machine –, mais sans convaincre. Las, on s’accorde avec le refrain répété à l’envi par Jérem : « Carrément rien à branler ».
4/10
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