Critical Zone Allemagne, Iran 2023 – 99min.
Critique du film
Virée nocturne dans les bas-fonds de Téhéran
Tourné en secret dans les rues de la capitale iranienne, l’audacieux «Critical Zone», du réalisateur Ali Ahmadzadeh, a remporté le Léopard d’or au Festival de Locarno.
Un plan séquence suit une ambulance qui roule dans d'interminables souterrains, s’arrête pour échanger des marchandises et repart. La caméra passe sur Amir (Amir Pousti), conducteur et dealer. Le jeune iranien solitaire (il n’a personne d’autre que son chien, Mr Fred) passe la nuit à rouler, au seul son de son GPS. Il sillonne ainsi les bas-fonds de Téhéran pour soulager les âmes en peine.
La caméra embarquée le suit, au gré des rencontres: des malades en fin de vie pour qui il a concocté des space cakes, des SDF à qui il offre une dose de drogue, une mère qui tente de sauver son fils toxicomane, un groupe de travailleurs du sexe transgenres ou encore une hôtesse de l’air devenue passeuse, avec qui il partage un rail de coke et un moment d’une rare intensité.
Ayant l’interdiction de tourner des films dans son pays et n’étant pas autorisé à le quitter, le réalisateur de 37 ans Ali Ahmadzadeh a tourné «Critical Zone» («Mantagheye bohrani» en farsi) dans la clandestinité la plus totale, avec des acteurs non professionnels, déjouant ainsi la censure des autorités. Et quelle est la plus fameuse astuce pour faire un film en secret en Iran? Tourner dans un véhicule! Le célèbre réalisateur dissident Jafar Panahi a largement montré l’exemple avec «Taxi Teheran» (2015) puis avec «Trois visages» (2018), des docu-fictions qu’il a tourné tout en conduisant.
Ainsi, dans «Critical Zone», Amir passe la majeure partie du temps au volant, dans le silence, à fumer, se curer le nez et suivre les indications de son GPS. Tourné intégralement de nuit, le long métrage est aussi lent et contemplatif qu’il est intense et captivant. À de longues séquences en temps réel et aux gestes répétitifs d’Amir dans son véhicule, viennent se greffer un superbe travail de hors champs, tant sonore que visuel, ainsi que de réjouissants effets de caméra (comme lorsque celle-ci, fixée au volant de la voiture, tourne avec lui). Ali Ahmadzadeh montre peu pour dire beaucoup. Sauf lors de cette scène où l'actrice Shirin Abedinirad sort sa tête sans voile par la fenêtre et hurle des «fuck you» à n’en plus pouvoir ; apogée symbolique du mal-être dans une société sans avenir.
(Locarno 2023)
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