Interview18. September 2024

La réalisatrice Yamina Zoutat parle du sang comme élément fédérateur dans son nouveau film CHIENNE DE ROUGE

La réalisatrice Yamina Zoutat parle du sang comme élément fédérateur dans son nouveau film CHIENNE DE ROUGE
© Close Up Films

Avec son film CHIENNE DE ROUGE, la réalisatrice Yamina Zoutat porte à l'écran un thème inhabituel : le sang. Dans une interview accordée à IMAGIQUE, la réalisatrice parle de l'impulsion mystérieuse de filmer le sang, des rencontres humaines qu'il a rendues possibles et de la manière dont le sang sert de métaphore à l'union collective.

Imagique : Vous vous êtes réveillée un matin avec une envie, un besoin de filmer du sang. D'où venait cette impulsion ? Est-elle née d'une introspection personnelle ou des circonstances extérieures qui vous y ont poussée ?

Yamina Zoutat : Je me suis effectivement réveillée un matin avec ce désir de filmer du sang. J’ai senti que ce désir venait du plus profond de moi-même. Et au moment où il est apparu, c’était une énigme pour moi, un mystère, je ne savais pas ce que j’entendais par là. Je ne savais pas ce que je voulais dire à moi-même, mais en tout cas, j’ai décidé de prendre cette piste, de la suivre, d’accueillir cette idée et de voir où elle allait me conduire.


Imagique : Le film traite de bien plus que le simple aspect matériel du sang. Que symbolise le sang en tant que métaphore ?

Yamina Zoutat : Je pense que si j’ai été attirée par cette substance, c’est parce qu’elle est ambiguë, ambivalente. Le sang ça représente à la fois la vie et la mort, le sang n’est pas fait pour être vu. Il circule dans nos corps, à l’abri. Dès qu’on le voit, c’est un signe de danger, c’est une menace. Ce film présentait donc aussi des questionnements : « Comment peut-on voir et filmer du sang ? Où aller le chercher ? Quel sang est-il possible de découvrir et de voir ? ». CHIENNE DE ROUGE est mon troisième film et ma démarche de cinéaste, ce que je mets au cœur de cette démarche, ce sont les rencontres que le film me permet de faire. Rencontrer des gens qui, sans ces projets, je n’aurais jamais pu rencontrer. Une des grandes questions était : quelle rencontre je vais pouvoir faire à partir de ce désir-là ?


© Close Up Films

L’objectif pour moi, ce n’est pas de faire juste un film, mais la possibilité qu’on le regarde touxtes ensemble dans une salle de cinéma et créer du lien, créer du collectif.– Yamina Zoutat, réalisatrice


Imagique : Quel était votre objectif principal avec ce film, que ce soit sur le plan émotionnel ou cinématographique ?

Yamina Zoutat: Rassembler, réunir, pour moi c’est le plus important. Le sang nous relie touxtes. On possède touxtes un corps, cette substance vitale. On l’ignore, on n’y pense pas, mais c’est elle qui nous permet de vivre, c’est le sang qui charrie dans nos corps l’air, le souffle, l’oxygène. Par exemple, j’ai découvert l’importance des dons de sang et la beauté aussi de ces personnes qui, parfois, tous les deux ou trois mois, vont donner librement leur sang pour essayer d’aider. C’est une des dimensions du film qui, pour moi, est très importante. Parce que justement, ça nous réunit et ça nous rassemble. L’objectif pour moi, ce n’est pas de faire juste un film, mais la possibilité qu’on le regarde touxtes ensemble dans une salle de cinéma et créer du lien, créer du collectif. Ce film m’a permis et me permet ça.

Imagique : C’est vrai. On n’en parle jamais.

Yamina Zoutat: Oui, en effet, on n’en parle jamais. On ignore le sang, on l’oublie. Il est là mais on ne veut pas vraiment le voir. Il nous effraie, mais il est beau le sang, il est magique. C’est dans cette direction et dans cette dimension que j’ai voulu écrire le film. Dans la beauté et la magie de cette substance vitale.


© Close Up Films

Imagique : C’était la première fois que vous tourniez dans un hôpital. Qu’est-ce que vous en avez appris ?

Yamina Zoutat: Ça m’a vraiment énormément apporté de découvrir le monde de l’hôpital. Je l’ai découvert à un moment où je filmais à Paris, j’ai filmé dans un très grand hôpital qui s’appelle Hôpital de la Pitié Salpêtrière, qui est un très grand hôpital parisien. Il se trouve que j’ai filmé dans des temps très difficiles, à une époque où il y avait des réformes pour faire toujours plus d’économies, avec beaucoup de difficultés pour le personnel, J’y ai découvert toute la beauté humaine qui compose un hôpital, avec tous les métiers, avec tous ces savoir-faire, tous ces enthousiasmes, tous ces engagements humains, j’ai trouvé ça vraiment extraordinaire. Jusque-là, j’ai plutôt fait des films en lien avec la justice, et donc j’ai beaucoup fréquenté les palais de justice, des tribunaux. J’ai vu un point commun avec l’hôpital, et avec justement tous ces métiers qui contribuent à nous tirer d’affaire, à nous aider. Et c’est là aussi qu’il y a une dimension collective, que je trouve très importante. J’ai mis en avant plutôt une femme médecin en particulier, d’origine vietnamienne, qui justement fait des grèves de moelle osseuse et donc sauve des vies grâce aux cellules souche du sang. Et au-delà d’elle, j’ai vraiment découvert tout un monde et encore une fois plein de métiers, d’existences, et ça m’a énormément touché.

J’ai voulu faire de l’hôpital un lieu enchanté, on ne le voit pas dans le film d’une façon très réaliste, j’ai voulu vraiment mettre en avant la beauté de ce lieu. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas triste un hôpital, c’est plein de vie et plein de renouvellement. Plein de récits aussi, de narrations. Il y a aussi une autre question qui m’a motivée profondément pour faire le film : « Qu’est-ce qui nous répare ? »

Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas triste un hôpital, c’est plein de vie et plein de renouvellement. Plein de récits aussi, de narrations. Il y a aussi une autre question qui m’a motivée profondément pour faire le film : « Qu’est-ce qui nous répare ? »– Yamina Zoutat, réalisatrice

Imagique : Il est vrai qu’on oublie le côté réparateur de l’hôpital et souvent on ne voit que le côté négatif.

Yamina Zoutat: Oui, c’est ça, c’est un peu comme le sang. On a tendance à voir en premier le côté négatif, mais en vérité, c’est d’abord du côté de la vie, de la réparation, du renouvellement. C’est de cet angle qu’il faudrait regarder d’abord les choses. C’est mon point de vue à moi.



CHIENNE DE ROUGE de Yamina Zoutat est sorti dans les salles de cinéma romandes le 16 septembre 2024

Cet article vous a plu ?


Commentaires 0

Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.

Login & Enregistrement