Voisins Suisse 2021 – 124min.
Critique du film
En amour comme à la guerre, tout est une question d’éducation
Fort du succès de ses précédents films documentaires (L’Apiculteur) comme de fiction (L’hirondelle), le réalisateur suisso-kurde Mano Khalil frappe à nouveau un très grand coup avec Voisins, une fable tragi-comique sur l’enfance, l’éducation et la guerre.
Sero Hamo (Serhed Khalil) a six ans et préfère de loin faire des frasques avec ses camarades ou accompagner son oncle Aram (Ismail Zagros) jusqu’à la frontière turque voisine qu’aller à l’école. Seulement, cette rentrée marquera à jamais sa jeune vie par l’arrivée d’un instituteur violent (Jalal Altawil) qui vénère le régime répressif et antisémite de Hafez el-Assad. La mort suit de près la haine semée dans le cœur des enfants, alors que Sero et sa famille sont confrontés à un choix douloureux vis-à-vis de leurs voisins juifs.
Deux mondes : l’un où la tendresse et le confort d’un foyer s’étend aux voisins de toujours ; l’autre, dominé par l’idéologie du national-socialisme et des entraînements au poignardage sous couvert de l’art et de l’enseignement. Tiraillé entre les sermons d’un maître, aveuglé par son besoin de reconnaissance, et son cercle familial qui se disloque malgré les efforts désespérés de son père, Sero doute, pleure, se venge sans comprendre les nouveaux interdits. Alors, il choisit de rêver à une télévision, qui pourrait lui ouvrir les portes d’un troisième monde, et de s’exprimer, à la manière du cinéaste Mano Khalil, par les images.
Complexe projet que de dénoncer le système éducatif syrien, alors même que son endoctrinement et ses positions anti-juives se poursuivent. Pourtant, Mano Khalil n’hésite pas à replonger dans une période sombre, quarante ans plus tôt, avec son héros interprété, par un hasard du sort, par un lointain cousin. Aussi, c’est avec beaucoup de poésie que le metteur en scène insinue de la tendresse là où la violence règne, sans toutefois occulter la cruauté de cet univers. Ainsi, le destin d’un palmier s’érige en symbole de l’échec du panarabisme et un lâcher de ballon, d’une morbide ironie, se transforme en une déclaration d’amour pour Hannah (Derya Uygurlar), voisine affectionnée dont le futur réside dans la fuite.
Avec un village reconstruit, quelques archives de l’époque et surtout l’immense talent de la distribution, de nouveaux visages pour la plupart, l’illusion du récit autobiographique narré par Sero, désormais adulte, prend aux tripes. Même si certains personnages ne sont jamais loin de la caricature, ils représentent tous les différentes strates d’une société passée, qui fait écho à la guerre en cours. Si l’espoir semble mince, le réalisateur en emplit pourtant son film pour rappeler que c’est l’entourage, autant que l’école et les rencontres que fait un enfant, qui modèlent son âme pour embrasser le respect plutôt que la rancœur.
Un tournage au Kurdistan irakien, un casting international comme multilingue arabo-kurde et des souvenirs d’enfance romancés, autant d’éléments qui font de Voisins une œuvre unique, bouleversante et personnelle pour son auteur, par ce qu’elle dépeint de la vie des Kurdes syriens au début des années 80.
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