CH.FILM

Retour à Visegrad Suisse 2020 – 90min.

Critique du film

Le road trip de deux aînés pour se rappeler

Emma Raposo
Critique du film: Emma Raposo

Il fait partie de ces documentaires nécessaires, de ceux qui participent au devoir de mémoire, Retour à Višegrad raconte les traumas laissés par la guerre en Ex-Yougoslavie à travers la volonté d’un ancien directeur d’école et de la veuve d’un enseignant de réunir une classe d’enfants séparée lors de l’éclatement du conflit, il y a plus de vingt-cinq ans.

Nous sommes à Višegrad, à l’est de la Bosnie, vingt-cinq après le nettoyage ethnique perpétré par les forces armées de la république serbe de Bosnie à l’encontre des Bosniaques. En 1992, les élèves musulmans et serbes sont brusquement séparés. Des exodes, des assassinats, des tortures et des viols, les familles musulmanes souffrent et périssent sous les frappes des troupes serbes. À ce moment-là, Budimir Zecevic est le directeur de l’école de la bourgade. Accompagné de Djemila Krsmanovic, la veuve d’un enseignant de l’établissement, il se lance un pari fou: réunir ces mêmes élèves séparés de force il y a plus de deux décennies.

Le challenge est de taille: certains élèves ont émigré, d’autres ne sont plus de ce monde et pour ceux qui restent, tous n’accueillent pas l’initiative avec le même enthousiasme. Mais Budimir et Djemila sont tenaces et parviennent à réunir une dizaine d’enfants désormais adultes. Certains ont des souvenirs très précis de leur vie d’avant, d’autres ont occulté leur passé, une manière de mieux le supporter.

Dans Retour à Višegrad, vous ne verrez pas de violence, ni de coups ou d’images chocs. Les blessures sont intérieures, enfouies voire refoulées. Elles datent de ce fameux jour d’avril 1992 et des années qui ont suivi. Les balafres laissées par le conflit qui a durement et durablement secoué l’Ex-Yougoslavie dans les années 90 n’ont toujours pas cicatrisé pour ces gamins de l’époque devenus adultes. Réalisé et écrit par Julie Biro et Antoine Jaccoud, le documentaire parcourt sobrement les thèmes de la reconstruction et de la résilience à travers le road trip de deux retraités.

Retour à Višegrad, c’est d’abord l’idée de Julie Biro. La co-réalisatrice avait initialement imaginé partir à la rencontre des anciens camarades de classe de son amie Mersiha, ancienne habitante de Višegrad, qui avait dû fuir sa ville lors de l’éclatement du conflit. Rejointe par le scénariste Antoine Jaccoud, le documentaire sort des sentiers battus en adoptant une trame narrative singulière.

Il aurait pu se contenter d’être un documentaire comme tant d’autres. Au lieu de cela, Julie Biro, associée à Antoine Jaccoud, livre un récit poignant, emprunt d’une dramaturgie intelligente, des atrocités perpétrées en Ex-Yougoslavie à travers la quête inébranlable de deux aînés convaincus du bien-fondé de leur démarche. Embarqués dans ce road trip d’un autre type, nous nous rappelons d’un pan tristement célèbre de l’histoire de l’Europe orientale. Grâce à une écriture s’écartant des modèles standards du documentaire, Retour à Višegrad fait partie de ces métrages pudiques, sincères et nécessaires.

01.02.2021

3.5

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