Hit the Road Iran 2021 – 95min.
Critique du film
Histoire d’un aller sans retour
Panah Panahi, qui avait jusque-là travaillé sur les films de son père Jafar Panahi, troque sa casquette de monteur pour celles de réalisateur et scénariste pour son premier long-métrage. Petit miracle que ce Hit the road, qui échappe à la censure et nous gratifie de sublimes paysages iraniens enveloppants un drame familial déchirant.
Un quatuor hétéroclite prend la route, direction l’Azerbaïdjan occidental. Le père (Hasan Majuni) a la jambe emplâtrée, la mère anxieuse (Pantea Panahiha) chante pour prévenir la douleur à venir, le fils cadet (Rayan Sarlak) s’amuse sans saisir le drame qui se joue, tandis que l’aîné (Amin Simiar) garde le silence. Dans le coffre, le chien Jessy vit ses dernières heures. Cette famille se trouve alors confrontée à une multitude de défis absurdes ou bouleversants sur le trajet la menant de Téhéran à la frontière turque où un nouveau futur attend le fils aîné. Bientôt, le voyage devient une épopée au gré des rencontres.
Sous couvert de tourner un documentaire dans une région reculée de l’Iran, le réalisateur fait de ces plaines et hauts sommets le décor de son voyage doux-amer. S’il ne s’agit pas de sa propre histoire, Panah Panahi s’inspire néanmoins de la destinée de milliers de jeunes iraniens, forcés de quitter leur pays pour fuir de futures persécutions. Bien que la raison de ce départ précipité demeure floue, la raison importe peu, d’autant qu’elle est brodée de mensonges afin de préserver le fils cadet. Seuls les visages fermés ou embués de larmes, tentants d’arborer un sourire contrit, comptent lorsqu’on est seuls sur la route. Même lorsque la famille retrouve d’autres êtres traversés par la même déchirure, elle ne parvient à communier sa peine qu’en son sein, comme à l’occasion d’une leçon d’astronomie où père et fils deviennent des étoiles.
Alors, pour conjurer le désespoir, tout est bon : des disputes puériles autour d’une fiancée imaginaire aux souvenirs d’enfance embarrassants. Le fils cadet joue d’ailleurs le rôle de personnage comique bienvenu, surtout qu’il contraste fortement avec l’ambiance morose par son innocence et son enthousiasme. Le film débute ainsi sur la recherche d’un téléphone, qui finira enterré, que le petit a caché dans ses sous-vêtements. Plus tard, les péripéties de la famille deviennent toujours plus burlesques, à mesure que l’heure de la séparation approche. Cyclise renversé, motard cagoulé ou choix d’une peau de mouton, autant d’événements finalement vains, car lorsque la caméra se place à bonne distance des ultimes embrassades, noyées dans les cris de l’enfant, seule compte l’émotion au présent.
Il arrive que la douleur devienne synonyme de lourdeur quand la sonate de Schubert retentit pour un énième regard dans le vide paternel, mais ce leitmotiv n’est finalement qu’un geste maladroit dans une œuvre pleine de poésie. Même, les références à 2001: L’odyssée de l’espace paraîtraient pompeuses si elles n’étaient pas contrebalancées avec malice par la figure de Batman qui accompagne les jeux du fils cadet. Enfin, la mort est ici épée de Damoclès puisque, malgré tous ses efforts pour préserver un de leurs membres, la famille devra néanmoins procéder à un enterrement, tant bouleversant que symbole d’autres adieux. Alors il ne reste qu’à aller de l’avant, coûte que coûte, même si la voiture part en marche arrière.
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Commentaires
“Ma famille iranienne”
Dans le jeu de cette famille, j’appelle le père, barbu bougon à la jambe plâtrée. La mère, aimante et surprotectrice comme il convient. Le cadet, petite crapule attachante à la langue bien pendue. Sans oublier le cabot malade qu’ils ont recueilli il y a peu. Tous accompagnent en voiture l’aîné, taciturne et concentré, bien décidé à quitter le pays.
A l’image du taxi Téhéran de son paternel, Panahi junior choisit pour son premier long-métrage un habitacle comme décor principal. Là s’affronte chacun des membres, dans des joutes oratoires tendres et enlevées, avant la séparation. De l’humour, des reproches et des insultes pas toujours saisissables en cette pyramide des âges et des sentiments. Humiliation suprême pour le fils prodigue, les photos prises autrefois par sa chère maman de ses nombreux draps mouillés : « En Europe, ils les auraient certainement exposées dans une galerie ! ». Au-delà de ce capharnaüm ambulant rappelant l’espièglerie douce-amère de Little Miss Sunshine, on respire heureusement en prenant l’air dans des cadres grandioses qui préfèrent laisser les personnages s’époumoner au loin. L’intimité de ce noyau dur est perturbée par des êtres inattendus comme ce cycliste tricheur qui baiserait les pieds de Lance Armstrong ou des passeurs aux cagoules moutonnées. Car on ne quitte pas l’Iran librement. Tout doit se faire de manière clandestine. Pour aller où ? Échapper à quoi ? Un ailleurs certainement où l’avenir aurait du sens. La tête dans les étoiles, le réalisateur préfère ne rien dire et laisser l’imaginaire s’imposer. La destination importe toutefois moins que le voyage. Et tant pis pour ceux qu’on laisse derrière soi. Ils enterreront le passé et chanteront leur peine entre sourires et larmes. Comment se dire adieu…
(7/10)… Voir plus
Dernière modification il y a 2 ans
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