Artikel16. Februar 2021 Camille Vignes
Black History Month - Ces films qui ont changé l’histoire du cinéma noir
Février c’est le Black History Month, le mois de la commémoration annuelle de l'histoire de la diaspora africaine célébrée pour la première fois aux États-Unis en 1976 par le président Gérald Ford et exportée depuis peu en Europe. L’occasion de revenir sur les grandes lignes de l’histoire du cinéma afro-américain et quelques-uns de ses films phares.
L’histoire de l’Amérique est intimement liée à l’histoire des Noirs, empêtrées l’une l’autre depuis des siècles dans une danse frénétique et macabre, composée de préjugés et d’idéaux racialistes sans racine. Mystifiée, la face du monde s’est longtemps proclamée monochrome, masquant difficilement derrière des discours colonialistes les éclaboussures rougeâtres de ses violences. Pourtant, ses plaies dégoulinent toujours du sang de leurs victimes, et rien du passage des soldats noirs américains par l’Europe, légèrement moins emprunte de racisme, du rêve de Martin Luther King, du sitting de Rosa Parks ou de l’abolition de l’apartheid n’aura pas suffi à les panser.
L’histoire de l’Amérique est intimement liée à celle des Noirs, empêtrées l’une l’autre depuis des siècles dans une danse frénétique et macabre que l’industrie cinématographique s’amuse à invisibilité depuis sa naissance. Il n’y a qu’à voir l’agitation autour de films comme «Get Out», «Black Panther» ou encore «Sorry to bother You» pour comprendre qu’elle a gravement besoin de s’éduquer, que tous, nous devons aller à la rencontre de notre histoire. Voilà donc une petite sélection de longs-métrages, qui ne se veut en rien exhaustive, mais qui propose de faire tanguer le bateau, et pourquoi pas même, d’entamer son naufrage («Putney Swope», 1969).
DISCOURS DE LA MÉTHODE: L’UNIVERSALITÉ
«Within Our Gates» - Oscar Micheaux (1920)
Entre les lois de Kim Crow, la renaissance du Ku Klux Klan, la grande migration afro-américaine vers le Nord et le Midwest et l’émergence du «New Negro», «Within Our Gates» d’Oscar Micheaux est un double témoin de son époque. L’après-guerre et les émeutes raciales qui ont vu s’affronter communautés noires et blanches de février à octobre 1919 sont profondément inscrites dans son ADN. L’invisibilisation des créations afro-américaines aussi: le film semblait perdu à tout jamais avant qu’une copie ne soit retrouvée en 1970. Contre le racisme, les lynchages et la suprématie blanche, Michaux se sert de l’école comme d’un outil d’émancipation et tente de casser l’image stéréotypée du noir-américain et de ses représentations.
Disponible sur youtube
«La noire de…» - Ousmane Sembène (1966)
Tout comme l’histoire de l’Amérique et celle des Noirs sont unies à jamais, l’histoire de l’Afrique et de l’esclavage n’a rien d’étrangère à celle de l’Europe, et de surcroît la France. En navigant du Sénégal à la France, en violentant de plus en plus son personnage principal, la replongeant dans l’état subalterne de ses ancêtres, «La noire de…» raconte l’histoire du colonialisme et de ses héritages par le prisme d’une jeune femme noire. Immergeant le spectateur dans une psyché sous-représentée à l’écran, Ousmane Sembène raconte aussi le corps noir, et comment il peut aussi être un outil de militantisme et d’identification universel.
Disponible sur filmingo
«Daughters of the dust» - Julie Dash (1991)
«Daughters of the dust» de Julie Dash est d’une importance rare dans l’histoire du cinéma. Derrière la dernière journée d’une famille noire-américaine vivant dans la communauté de gullah avant sa migration vers le Nord au début du XXe, sa figure matriarcale brosse l’ambition derrière le film: être un point de bascule entre le passé, le présent et le futur; passer de l’individualisme à la communauté, au travail et à la force du collectif. Bien qu’il n’ait été montré qu’en 1992, le métrage a été conçu en 1970, à une époque où le discours qu’il portait n’était pas seulement moderne et visionnaire, mais purement et simplement révolutionnaire.
«Le Secret du bayou» - Kasi Lemmons (1997)
Plus de vingt ans avant que «Black Panther» rapporte des millions aux studios Disney/Marvel, «Le secret du bayou» venait déjà prouver que les films au casting entièrement noir pouvaient être rentables: c’est le film indépendant le plus rentable de cette année 1997. En ayant pour point d’appui l’intériorité foisonnante d’une jeune fille noire — témoin des aventures extra-conjugales de son père — sans pour autant le rendre vecteur d’un discours social, Kasi Lemmons réalise un film profondément politique. Par la fiction, il donne accès à l’égalitarisme.
Disponible en VOD
LE CINÉMA AFRO-AMÉRICAIN, PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES
«Orfeu Negro» - Marcel Camus (1959)
On aurait tendance à réduire l’histoire du cinéma afro-américain aux États-Unis et à ses industries hollywoodiennes et indépendantes. Certainement, parce qu’elle est écrite et racontée par des mâles blancs, pour des mâles blancs (et quelques autres). Mais comme pour le reste, elle dépasse les limites des frontières.
Conçu entre la France, le Brésil et l’Italie, «Orfeu Negro» est certainement l’un des premiers films noirs à avoir été à ce point acclamé. Palme d’Or à Cannes, meilleur film en langue étrangère et meilleur film étranger aux Oscars, aux BAFTA et aux Golden Globes, par la danse, la musique et les corps, il a levé le voile sur la communauté noire de Rio, jalon de la culture brésilienne.
«De Cierta Manera» - Sara Gómez (1974-77)
Oeuvre hybride entre documentaire et fiction, «De Cierta Manera» plonge dans les débuts d’une histoire d’amour sur fond de machisme-léninisme. Une histoire profondément consciente des entraves culturelles, de l’héritage religieux et culturel cubain, du déterminisme social qui menace à tout instant les rares possibilités d’émancipations féminines. Plus qu’une création afro-cubaine, c’est une réflexion sur l’avenir des jeunes filles qui s’installe, en même temps qu’une réflexion sur l’inavouable masculin.
«Amor Maldito» - Adélia Sampaio (1984)
Par bien des aspects, Adélia Sampaio a franchi des frontières avec son long-métrage. D’abord, en 2019, elle était toujours la première et la seule cinéaste brésilienne noire à avoir signé de sa seule patte la réalisation d’un long-métrage dans son pays. Ensuite, rarement film aura à ce point bataillé pour sortir en salles.
Réalisé en fin de dictature colombienne, «Amor Maldito» est la victime d’un système. Inspiré d’un fait divers (le suicide d’une jeune femme, et l’accusation de meurtre porté sur sa petite amie), l’agence nationale brésilienne a d’abord tout fait pour qu’il ne voit pas le jour en refusant de le financer. Puis, une fois produit par l’équipe de façon participative, les sociétés de production ont simplement refusé de le diffuser, jugeant certainement son propos trop offensant.
Après avoir bravé les limites de la race, de la sexualité et du financement, c’est finalement à celle du genre que Sampaio a fait un pied nez, acceptant de sortir son film dans un cinéma porno pour qu’il puisse faire carrière.
SUR LA «THÉORIE DU GENRE» ET DES SEXUALITÉS
«Borderline» - Kenneth Macpherson (1930)
«Borderline» met en scène une double histoire extra-conjugale. D’abord celle de Thorne et Adah, lui est blanc, elle est noire, puis celle d’Astrid, la femme blanche de Thorne, et Pete, le mari noir d’Adah, en réaction à la première. Tout est présent pour hérisser le poil des plus puritains, la relation extra-conjugale, les relations interraciales et la navigation dans les eaux troubles de la bisexualité. Le tout, en passant par la mécanique du rêve, et par des expérimentations esthétiques.
Disponible sur dailymotion
«Losing Ground» - Kathleen Collins (1982)
Kathleen Collins a signé là un jalon du cinéma noir indépendant, bouleversant la façon de représenter les femmes noires à l’écran car c’est le premier film qui met en scène une femme noire à la vie professionnelle stable, à se débattre avec un mariage finissant, à tenter de concilier carrière, aspirations personnelles et évolution dans une société patriarcale. Kathleen fait partie des premiers à avoir traité une Noire comme le sujet de l’action, comme un sujet sensible, intellectuel, sexuel et doué d’une subjectivité.
Dans le même temps, «Losing Ground» montre la masculinité vacillante de l’époux, qui se perd dans l’ombre de Sarah dont il est incapable de voir la puissance, trop persuadé de son pouvoir d’homme. Avec ça c’est l’exigence de l’égalité des genres qui se dessine.
«Langues déliées» - Marlon T. Riggs (1989)
En plein dans les années sida, Riggs apprend sa séropositivité. Le cinéma ne doit alors, pour lui, plus porter que des projets ambitieux, novateurs, dont le fer de lance sera composé de questions raciales, d’interrogations sur les idées sociétales préconçues et sur ce qui est montré à l’écran des masculinités noires.
«Langues déliées» veut porter un message universel sur les masculinités, qu’elles soient noires ou blanches, qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles. Plus largement, c’est le manifeste de la personnalité agitatrice de Riggs.
POUR UN DÉPASSEMENT DES STÉRÉOTYPES, LE CINÉMA COMME LANGAGE
«Autant en emporte le vent» - Victor Fleming (1936)
Le cinéma est un langage, codifié par des maîtres blancs pour répondre à leurs standards raciaux. Dans «The Mask of heart: Breaking the Aesthetic — Film and Literature», Clyde Taylor évoquait «le besoin épistémologique de la société dominante, presque une faim historique et culturelle, de voir des Noirs laids, de faire des associations réconfortantes avec les bidonvilles, la pauvreté, l’abjection et le mépris de soi».
«Autant en emporte le vent» ne saurait être mieux décrit. Certes Hattie McDaniel est la première femme Noire oscarisée pour un second rôle, mais peut-on parler de ce rôle, bien à sa place dans son statut d’esclave, objectifié, jamais sujet, toujours «bonne Noire» à l’écran?
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«West Indies» - Med Hondo (1979)
En quatre cents ans, les fondamentaux de la lutte pour la libération des Noirs n’ont finalement pas tant changé. La traite négrière s’est muée en un esclavagisme plus pervers, fait de féodalité, de capitalisme, de migrations vers les grandes villes du nord dans l’espérance de gagner trois kopecks. C’est ce constat alarmant que raconte «West Indies».
Mais il parle aussi de revendications culturelles, de protections des particularités locales, tissant ainsi la grande fresque d’un nouveau langage cinématographique. Un langage qui veut comprendre les mécanismes de l’esclavagisme et des oppressions pour mieux les combattre.
«Handsworth Songs» - John Akomfrah (1986)
L’Est de Londres des années 80 a vu naître le Black Audio Film Collective, regroupant certains de ceux qui voulaient renverser le discours national antéchristique ambiant, repensant les rouages de la répression raciale, colonialiste ou de classe. Les sept artistes de ce collectif étudient le codage des préjugés sociaux dans les médias de masse (télé et journaux) et proposent leur analyse sous forme de puzzle, de bribes que le spectateur doit remonter dans son esprit. Certes cette approche originale en fait un film élitiste, pourtant, on ne peut lui enlever que c’est la première fois qu’un film a fait naître un débat national, animé et intellectuel.
«Une saison blanche et sèche» - Euzhan Palcy (1989)
Ici, il est question des limites de l’industrie cinématographique française et de la volonté d’une femme d’écrire une façon de faire un film. Adapté du roman éponyme d’André Brink, produit en Amérique, il est question de la lutte contre l’apartheid sud-africaine racontée avec le plus de décence possible par une non sud-africaine. Parce que pour elle «Une saison blanche et sèche» ne pourrait que trahir son propos en castant des acteurs afro-américains, elle a insisté jusqu’à obtenir ce qu’elle voulait, un casting sud-africain.
_Disponible sur mycanal_
«Franz Fanon, peau noire, masque blanc» - Isaac Julien et Mal Nash (1995)
Pour Fanon, c’est le regard qui structure la pensée. C’est par le regard que s’établit le racisme, extension du bras armé du colonialisme et de l’esclavagisme. Partant des réflexions de Fanon, et montrant alternativement des images d’archives, des entretiens et des moments de fictions existentialistes, les deux réalisateurs questionnent le langage politique et esthétique du cinéma, ils se demandent «Jusqu’où l’image peut-elle remplacer le langage? La traduction vers le visuel est un acte de synthèse» (Isaac Julien).
Pour plus d’informations, nous vous recommandons l’ouvrage collectif «Black Light – Pour une histoire du cinéma noir» publié à l’occasion de la rétrospective «BLACK LIGHT» au Locarno Film Festival de 2019.
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