Une jeune femme fuit sa famille et est contrainte d’occuper une chambre d’hôtel. Son voisin d’en face est pianiste de bar. Ses TOC étranges avivent la curiosité de la jeune femme. Entre ces deux êtres hors norme, une complicité s’installe.
(Critique de Fanny Agostino)
Pour son deuxième long-métrage, Jean-Laurent Chautems poursuit la trajectoire esquissée dans «Plus là pour personne »(2010). Il y explorait les destins profondément altérés de victimes d’un accident de la route. Dans «Chroma», la charpente de l’intrigue se concentre sur deux personnages. Isolés entre leurs quatre murs, Claire (Solène Rigot) et Alain (Aurélien Caeyman) n’ont que peu d’atomes crochus avec le monde dans lequel ils évoluent.
Alain ne peut s’empêcher d’entrer dans des états de panique à chaque fois qu’il doit rentrer en contact avec la couleur verte. Aussi, il est pris d’une irrépressible envie de se laver dès qu’un inconnu devient trop tactile… Quant à Claire, elle tente de se reconstruire, loin d’un père qu’elle déteste et à qui elle ne peut pardonner le secret qui les lie. Elle ne supporte pas les refus et commet de petites vengeances, comme détruire le porte-monnaie de l’assistance sociale qui lui refuse le chômage.
Cette marginalité se répercute dans le traitement de l’image, dont la gamme de couleurs se limite à des tons ternes. Tout est pâle et délavé. Une esthétique renforcée par des séquences tournées en ville. Dans cette jungle urbaine, les protagonistes traversent routes et trottoirs en se fondant dans le rythme des pendulaires. Un mimétisme qui voile pourtant une envie de s’intégrer dans une norme.
Par exemple, lorsque Claire décide de prendre en filature sa voisine jusqu’à son arrêt de tram. Elle s’assied à côté d’elle, la regarde. Occupée par son téléphone, cette dernière ne voit pas Claire. Elle finit par sentir son regard, mais Claire préfère détourner la tête.
Le scénario joue également de cette confrontation au monde par un humour fin et empathique. C’est le cas lorsque Alain, approché de trop près par un collègue, préfère se débarrasser de son pantalon dans la benne à ordure de son immeuble, avant de se rendre compte que ses clés y sont restées ou lorsque Claire décide de prendre part à l’enterrement d’un inconnu en se faisant passer pour la petite nièce du défunt. C’est d’ailleurs sur ce terrain que ces deux inaptes de la société finissent par se lier, Alain apostrophant Claire qui la suit depuis quelques jours, celle-ci déclarant qu’elle souhaite passer une nuit avec lui.
Si la bande sonore exploite le vacarme citadin, aucune chanson ne vient contraster ou souligner les plans. La musique est pourtant bien présente par l’intermédiaire d’Alain qui se produit dans des hôtels chics comme pianiste. Son activité professionnelle désuète renforce cette extériorité au monde. À quelques reprises, nous sommes transportés dans les rêves d’Alain. La lettre pour Elise le renvoie à son enfance et à la mort de son grand-père. Par le biais de la mélancolie du pianiste, quelques clés de compréhension de sa pathologie sont données.
«Chroma» peut être vu comme une lorgnette à travers laquelle l’invisible est rendu saisissable. Le scénario comme la réalisation font preuve d’une grande adresse. Solène Rigot et Aurélien Caeyman ne sont dans l’excès, mais parviennent à exacerber à merveille la sensibilité et la grande affectivité de deux êtres, que l’on peut croiser là, sur le banc de son arrêt de bus.
4/5 ★
Depuis le 6 juillet au cinéma
Bande-annonce
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