Kritik29. Januar 2024

Critique de «La Zone d'intérêt», le quotidien nazi dans toute sa banalité

Critique de «La Zone d'intérêt», le quotidien nazi dans toute sa banalité
© Filmcoopi Zürich AG

Film coup de poing avec Sandra Hüller et mis en scène par Jonathan Glazer, «La Zone d'intérêt» est sous les feux de la rampe avec 5 nominations aux Oscars. Décryptage.

(Une critique de Marine Guillain)

La banalité de l’horreur. Rudolf Höss (Christian Friedel) est commandant à Auschwitz. Il vit avec sa femme Hedwig (Sandra Hüller, qui sait décidément choisir ses rôles, puisqu’elle est aussi l’actrice principale de la Palme d’or 2023, «Anatomie d’une chute») et leurs enfants dans une jolie maison avec jardin et pelouse bien taillée, à côté du camp de concentration. La vie de rêve s’écoule paisiblement au son des rires des enfants qui jouent dans la piscine, aux images des goûters sous le soleil, des sorties bucoliques à la rivière, des séances de jardinage au milieu des fleurs et des repas d’anniversaire. Il y a aussi cette discussion tout à fait ordinaire, évoquant l’efficacité d’un nouveau système de crémation.

Neuf ans après «Under the Skin», drame de SF dans lequel Scarlett Johansson jouait une extraterrestre qui séduisait les hommes avant de les faire disparaître, le cinéaste britannique Jonathan Glazer a librement adapté le roman «The Zone of Interest» de Martin Amis, paru en 2014. Examinant sans émotion l'existence ordinaire de cette famille, il livre un point de vue glaçant sur l’humanité.

Critique de «La zone d'intérêt», le quotidien nazi dans toute sa banalité
«La Zone d'intérêt» de © Filmcoopi Zürich AG

Tourné à Auschwitz, en allemand, le film privilégie l’atmosphère pesante au récit, passablement répétitif. La mise en scène minimaliste et clinique est entièrement au service du propos. Pour accentuer le regard froid jeté sur la banalité de cette brutalité inconcevable, Glazer travaille l’invisible et le hors champs à travers un travail sonore sidérant, qui commence d’emblée avec un générique de début sur fond noir. Musique glaciale qui scotche sur son siège. Puis, alors que la caméra ne franchit jamais le mur entre la villa et le camp, frontière parfaite entre le paradis et l’enfer, des sons terrifiants jaillissent: ordres agressifs, cris d’effroi et de douleur, grondements des fours crématoires. On ne voit rien (excepté la fumée qui s’élève en arrière-plan du jardin ou un employé qui nettoie des cendres juste à côté), on entend tout.

Les personnages ne sont jamais filmés de près, il n’y a aucun gros plan, si bien que l’on connaît à peine leur visage. C’est un choix assumé, certes, et fort dérangeant, puisqu’il laisse le public en dehors de tout sentiment et de toute empathie, ne montrant rien d’humain, bien au contraire. Reflétant la facilité de s’accommoder à l’inimaginable, le glacial et terrifiant «La Zone d'intérêt» laisse en sentiment poignant au ventre. Que l’on soit pris ou pas, il se démarque de tout ce qui existe déjà et s’inscrit probablement comme le film le plus marquant sur le nazisme depuis «Le Fils de Saul», de László Nemes (2015).

4,5/5 ★

Au cinéma le 31 janvier

Plus d'informations sur «La Zone d'intérêt».

Bande-annonce de «La Zone d'intérêt»

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