Interview de Maïwenn sur «Jeanne du Barry» : «Une jeune femme éprise d'un homme de pouvoir sera toujours décriée»

Alors qu’elle ouvre le Festival de Cannes avec son film «Jeanne du Barry», Maïwenn et l’équipe du film se sont confiés dans un entretien. Interview d'une cinéaste qui se dit libre et instinctive.

(Propos recueillis à Paris par Marine Guillain)

Lors d’un déjeuner presse accordé à quelques journalistes privilégiés dans un restaurant étoilé au cœur du Château de Versailles (vers le récit de cette fastueuse rencontre), Maïwenn a évoqué le tournage de son dernier film et son attachement profond à cette histoire. Pierre Richard, Melvil Poupaud et Benjamin Lavernhe étaient aussi attablés autour de ce repas gastronomique pour nous livrer leurs impressions.

Film d’ouverture du Festival de Cannes, «Jeanne du Barry» est un film d’époque ambitieux qui raconte l’ascension et la chute de Jeanne, passée de courtisane à favorite du roi Louis XV. Si la réalisatrice Maïwenn («Pardonnez-moi», «Polisse» «Le bal des actrices», «Mon roi», «ADN») tenait tant à raconter l’histoire de cette jeune femme et tout autant à l’incarner, c’est parce que dès qu’elle a découvert ce personnage (en 2006 dans le film «Marie-Antoinette», de Sofia Coppola, NDLR), elle s’est sentie semblable à elle, connectée à elle.

«Comme elle, j’ai eu l'impression de trahir ma classe sociale, il y a toujours ce genre de problèmes chez les transfuges, il y avait cette dualité entre le milieu d'où je venais et celui dans lequel je vivais. Je me suis sentie démunie, c’était aussi lié au fait d’avoir quitté l'école très jeune, puis je me suis sentie sauvée, grâce à la curiosité et à la culture.» Maïwenn cite aussi l’histoire d’amour entre Jeanne et le roi, faisant référence à ce qu’elle a elle-même vécu lorsque, à l’âge de 16 ans, elle s’est mariée avec Luc Besson: «Une jeune femme éprise d'un homme de pouvoir sera toujours décriée comme quelqu'un d'intéressée qui court après l'argent. J’avais envie de crier ces injustices. J'aurais du mal à me décrire comme la Robin des Bois du cinéma, mais j’avais la sensation de pouvoir défendre cette femme, car j'ai la conviction de la connaître au plus profond de moi-même, à la fois dans ce qu'elle a de plus beau et ce qu'elle a de plus dark.»

Contrairement à ses précédents films, la réalisatrice a cette fois laissé peu de place à l’improvisation.«C’était parfois frustrant, car lorsque les acteurs disaient trop bien leur texte, j'avais peur de passer à côté de la spontanéité et de me priver d'accidents, ce qui donne parfois des moments de grâce dans une scène». Questionnés sur le sujet lors de ce même déjeuner, les comédiens s'accordent pour dire que la cinéaste est «exigeante», tout en osant s’écouter, tenter des choses et prendre des libertés. Les journées de tournage s'étiraient ainsi souvent pour se terminer plus tard que prévu.

«C’était fatiguant, mais passionnant», assure Pierre Richard, qui incarne le duc de Richelieu. «On ne fait pas beaucoup de films comme ça en France et c’est un privilège d’avoir pu en être.» «Maïwenn a une sensibilité très instinctive, elle prend le temps lorsque quelque chose ne lui va pas et elle embarque tout le monde avec elle. Elle est très libre», note pour sa part Benjamin Lavernhe, qui joue le conseiller du roi. Et Melvil Poupaud d’abonder: «Maïwenn est une forte tête, c'est difficile de résister, elle n'a pas de problème avec son désir et quand elle a quelque chose en tête, elle fera tout pour que ça arrive. Il faut être souple et très disponible. Elle a besoin de grâce, de quelque chose qui la surprenne. Il faut beaucoup de courage pour imposer sa vision.»

Celui qui est le Comte du Barry dans le film poursuit avec enthousiasme: «Elle avait carte blanche, elle décidait tout et même Johnny Depp était sous ses ordres, ça m'a impressionné! Le premier jour de tournage, il faisait son truc, il oubliait sa réplique et Maïwenn lui courait après en disant: «Non non non, reviens ici toi!»

Justement, les comédiens ont aussi donné leur avis sur la présence de Johnny Depp au casting. Un choix qui a été largement critiqué, à la fois parce qu’il est Américain et à la fois à cause des polémiques autour de ses procès contre son ex Amber Heard. «Il existe par sa seule présence, avant même de dire un mot, assure Pierre Richard. Qu’il soit Américain ou pas, je m’en fous! Il est juste bon». Benjamin Lavernhe renchérit: «Outre le fait qu’il est très chaleureux et accessible, il se passe quelque chose de magique lorsqu’il est à l’écran, il a un charisme ahurissant. Maïwenn voulait quelqu’un qui fasse se retourner tout le monde lorsqu’il entre dans la pièce, avec lui, c'était comme ça. Ça m’amuse que ça hérisse le poil des conservateurs qui disent qu’on ne peut faire jouer un roi français à un Américain. Et c’est là que Maïwenn a une liberté et une sorte d'irrévérence hors des codes. Comme Jeanne, elle dérange autant qu’elle fascine.» Pour Melvil Poupaud, il s’agit d’un des meilleurs rôles de Johnny Depp depuis très longtemps.

Maïwenn, pour sa part, a expliqué s’être d’abord tournée vers des acteurs français (qui ont refusé le rôle), avant de tenter Johnny Depp, n’imaginant jamais que ça fonctionnerait. Même lorsque l’acteur a accepté, la réalisatrice est restée persuadée qu’il changerait d’avis au dernier moment, alors que son procès se rapprochait et que la polémique enflait. «Pour moi, c'est une histoire d'amour qui a mal tourné et c’est sa vie privée, ce ne serait pas juste de se positionner comme procureur. Sur le tournage, j’ai été confrontée à des différences culturelles avec lui et à des désaccords, mais ce n’est pas toujours contre productif et ça ne signifie pas que l’on ne s’apprécie pas. Au contraire, on a de vraies affinités avec Johnny.»

Quant à la programmation du film à Cannes, la cinéaste dévoile que Thierry Frémaux, délégué général du festival, lui a conseillé de prendre plus de temps sur certains plans: «La version qu’il a vue était plus courte. Il m'a dit qu'il fallait allonger et m'a réconfortée dans l'idée que je me faisais du film avec des longs plans. Je culpabilisais sur la longueur donc j’avais coupé au montage, mais j’avais filmé, les rushs existaient donc je pouvais changer! J'ai donc rallongé plusieurs passages, surtout sur la scène d'introduction.»

«Jeanne du Barry» est à découvrir au cinéma à partir du 17 mai.

Bande-annonce de «Jeanne du Barry»

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