Interview5. Februar 2024 Cineman Redaktion
Pierre Monnard sur «Bisons» : «Ce ne sont pas des combats truqués»
Actuellement en plein tournage de la série «Winter Palace», coproduite par la RTS et Netflix, le réalisateur fribourgeois s’est déplacé à Lausanne pour faire la promo de son film «Bisons». Interview.
(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain.)
Quatre ans après «Les Enfants du Platzspitz», Pierre Monnard revient avec son troisième long métrage. «Bisons» raconte l’histoire de Steve (Maxime Valvini), jeune paysan champion de lutte suisse qui, chapeauté par son frère aîné Joël (Karim Barras), s’embarque dans des combats clandestins susceptibles de leur procurer l’argent qui permettrait de sauver la ferme familiale. Le drame part favori pour le Prix du cinéma suisse, avec six nominations.
Cineman: Pourquoi vous être intéressé au milieu de la lutte ?
PM: Je n’ai jamais pratiqué la lutte moi-même, mais c’est un sport que je connais bien. Plus jeune, j’avais plein d’amis lutteurs, j’allais à la fête du Lac-des-joncs chaque année... La lutte suisse est quelque chose de très typique, qui n’existe pas ailleurs. C’est notre art martial à nous, à l’image de la boxe pour les pays anglo-saxons, avec sa noblesse, sa technique et sa philosophie.
Les scènes de lutte étaient-elles chorégraphiées?
PM: Non, elles étaient peu préparées en amont. On a eu la chance d’avoir Cyril Raffaelli, qui travaille généralement à Hollywood sur des grosses productions. Il est athlète, lutteur lui-même, vice-champion d’Europe dans sa catégorie. On ne pouvait pas faire beaucoup de prises, car après 20 minutes de combat, les comédiens et les figurants étaient morts, tant c’était physique. Ce ne sont pas des combats truqués, ils se sont battus en vrai, mais avec élégance et respect. Ils m’ont beaucoup impressionné. On avait d’ailleurs très peur que quelqu’un se blesse, mais tout s’est magnifiquement bien passé, dans l’amitié et la complicité. C’est très rare pour un réalisateur, surtout en Suisse, de pouvoir travailler sur ce genre de scènes et d’insuffler de l’émotion au-delà de la performance sportive.
Il y a notamment un combat à Marseille qui dégage quelque chose de poétique: l’avez-vous filmé dans ce but?
PM: Oui, complètement. Chaque scène de combat est filmée de manière différente. La première, c'est la découverte, la deuxième, c'est le côté brutal, violent et dangereux, et celle à Marseille est un moment de grâce, durant lequel un équilibre se forme, une beauté se met à exister. Lorsque je parle de moment de grâce, je pense notamment à la danse, quand le corps prend le dessus sur la tête. Quand on écoute de grands athlètes, que ce soit Roger Federer ou Marco Odermatt, ils disent qu’ils sont tout à coup dans la zone, qu’ils voient la matrice, le corps prend le dessus sur l’esprit et ils arrivent à un nirvana si puissant qu’ils veulent y retourner. Dans la lutte, il y a de la délicatesse, de la vulnérabilité, de la fragilité, et c’est ce que j’essaie de raconter dans le film par la force des images. Maxime porte ça en lui, ce qui le rend attachant et idéal pour cette histoire.
Justement, comment avez-vous choisi Maxime Valvini pour le rôle de Steve?
PM: Je voulais des scènes de combat très authentiques, je voulais quelqu’un qui sache se battre, donc dès le début, je savais que je voulais un lutteur. On est allés taper à la porte de tous les clubs de lutte en Suisse romande et c’est comme ça qu’on a rencontré Maxime, qui s'entraîne à Genève. Il avait envie de jouer la comédie, mais l’occasion ne s’était pas encore présentée. Je l’ai emmené chez mes cousins agriculteurs dans le canton de Fribourg et je lui ai fait faire des essais. Ça a été une évidence. Après ça, on a réécrit le scénario pour que le personnage de Steve soit encore plus proche de lui.
Comment avez-vous choisi le Jura vaudois comme lieu de tournage?
PM: J’ai découvert les lieux un peu par hasard lorsque je suis allé présenter mon dernier film, «Les Enfants du Platzspitz» à Sainte-Croix. À ce moment, je travaillais déjà un peu sur «Bisons» et j’ai trouvé que c’était le lieu idéal pour raconter cette histoire. J’avais déjà tourné dans le Jura pour la série «Wilder», mais pas dans le Jura vaudois. C’est vrai que c’est un décor de cinéma. Ce que j’aime dans le Jura, surtout dans l’arrière-pays, c’est qu’on ne voit plus les Alpes, on n’a plus de repère géographique, on ne sait plus vraiment où on est.
«Bisons», les séries «Wilder», «Hors saison» ou encore «Winter Palace», que vous tournez actuellement… Il y a de la neige partout! D’où vient ce lien entre vous et la neige?
PM: C’est une bonne question! J’en suis moi-même étonné. Encore aujourd’hui, j’étais dans le train pour venir à Lausanne, je traversais ces paysages enneigés et ma seule envie était d’aller prendre une caméra et d’aller faire des images. Quelque chose m’inspire dans la neige, c’est extraordinairement cinématographique. Cette atmosphère, ce froid… il y a quelque chose de sensoriel, au niveau du son aussi, qui met tous les sens en éveil. J’ai grandi au pied des montagnes, à Châtel-Saint-Denis, l’hiver était une de mes saisons préférées, je suis né au mois de février… Donc tout ça a peut-être contribué à ce rapport particulier avec la neige.
Pourtant, il y a de sacrés contraintes à filmer la neige, non?
PM: C’est vrai, logistiquement ce n’est pas simple, ça demande beaucoup plus de préparation et plus de temps. Il y a les petites questions pratiques, comment gérer la continuité entre les scènes, les traces de pas dans la neige… et puis il faut s’assurer d’avoir de la neige durant toute la durée du tournage, avoir des stocks de neige au cas où. Mais c’est mon cinquième ou sixième projet dans la neige, alors j’ai aussi acquis une certaine expérience.
Il y a aussi beaucoup de scènes nocturnes…
PM: C’est vrai, «Bisons» était un tournage assez dur, à l’image du film. Il a été difficile à monter financièrement, c’était un pari, on savait à l’avance que le tournage ne serait pas des plus reposants. Ça a été très physique, avec des journées extrêmement froides, car on n’était pas loin de la Brévine. Il y a cette bise qui mord, cette rugosité, ces tournages de nuit… Mais c’est ce qui donne au film sa force et son authenticité. Je voulais faire un film sensoriel, viscéral, qui vient de tripes et pas de la tête.
Qui a eu le plus froid sur le plateau?
PM: Les comédiens! Maxime était souvent peu habillé, en train de courir en t-shirt dehors… alors que derrière la caméra, on était bien emmitouflés. Les acteurs donnent vraiment de leur personne. Après chaque prise, on les enveloppe dans des couvertures et on les chouchoute!
Et pourquoi cette envie de filmer la vie paysanne et les difficultés des métiers ruraux, sujet très actuel, que vous avez déjà mis en scène dans la série «Neumatt» (sortie en 2021)?
PM: J’ai grandi à la campagne, une partie de ma famille sont des agriculteurs, j’ai un lien très fort avec la terre. Ce sont des métiers très durs, qui changent à une vitesse folle, j’ai été témoin de beaucoup de familles de paysans qui se retrouvaient dans des situations financières difficiles et qui cherchaient à s’en sortir. J’éprouve beaucoup de tendresse et d’admiration pour ces métiers.
Pour terminer, comment s’y prend-t-on pour filmer des vaches et des bisons?
PM: Ce n’est pas simple! Il faut de la sensibilité, de la patience, des précautions, du tact, avoir fait quelques recherches auparavant et être bien encadré. Et puis, il faut avoir un peu de chance aussi. Lorsqu’on a filmé le bison, c'était un très beau moment, magique, qui incitait au respect.
Plus d'informations sur «Bisons», au cinéma le 7 février.
Bande-annonce de «Bisons»
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