Artikel1. November 2017 Theo Metais
HALLOWEEN - Les Vampires de Polanski
Hasard du calendrier ou prophétie amusante, le nouveau film de Polanski (D’Après Une Histoire Vraie) sort la semaine d’Halloween. L’occasion pour nous de faire un point sur les vampires au cinéma et le célèbre film du réalisateur franco-polonais: Le Bal Des Vampires (The Fearless Vampire Killers) de 1967.
Les vampires, de la bête féroce…
Littérature et cinéma, deux amants fidèles, l'irrémédiable fièvre d’un tango éternel et lorsqu’il s’agit de vampires, la tradition nous plonge une fois encore dans le jauni des pages. L’histoire commence dans les entrailles du XVIIIème, en 1746. Dans son “Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires”, l'ecclésiastique Dom Augustin Calmet réunissait tous les premiers éléments du mythe vampirique: la bestialtié assoiffée de sang et le trépas d’un pieu au coeur. Plus tard, Gogol, Tolstoï, Lovecraft, Théophile Gautier, Bram Stocker ou encore Le Fanu s’emparent de la bête. Carmilla féminisera le mythe mais la figure de Dracula dépeinte par Stocker deviendra l'archétype du vampire. Et puis souvenez-vous, si si ! 1922, chef-d’oeuvre de l'expressionnisme allemand, le film de Murnau: Nosferatu le Vampire, panoplie noirâtre, teint blafard, crâne luisant, une tête d’ahuri et des paluches de nageur !
… au type normal ...
Avec le temps Dracula se bonifie et la piquette se millésime. Passant de Max Shreck (Nosferatu) aux vampires de Jarmusch (Only Lovers Left Alive) avec un détour crépusculaire dans Twilight avec Robert Pattinson, avouons tout de même que le mythe s’est dilaté ! Au fil des adaptations l’être bestial devient un bellâtre séducteur drapé d’une cape. Béla Lugosi d’abord dans le Dracula de 1931 et puis Christopher Lee qui, entre 1958 et 1976, interprétera une dizaine de fois le célèbre comte. Les codes de la mythologie deviennent les artifices du genre: gousses d’ail, crucifix, eau bénite et lueur du soleil. Bref, tout un folklore cimenté dans l’inconscient collectif par les productions de la Hammer dont Polanski s'amusera goulûment dans son cultissime Le Bal Des Vampires. Puis les années 90 marqueront un tournant dans l’histoire de Dracula.
Les boudins blonds de Gary Oldman chez Coppola puis les boucles d’or de Brad Pitt et Tom Cruise dans “Entretien avec un vampire” en 1994. Bien que l’histoire se déroule essentiellement au XVIIIème siècle, le mythe s’ancre au réel et le vampire s’humanise en 1998 dans un sérieux virage pop avec l’adaptation du marvel comics “Blade”. Plus tard dans Twilight, le vampire ira même à l’école et subira les brimades de ses camarades. Le fantastique est bel et bien secondaire, le genre se balade, il y aura Morse, puis The Transfiguration à mi-chemin entre l’épouvante et le teen-movie. Chers amis, nous voilà bien loin des empalés des Carpates.
Polanski et les vampires
Mais on divague ! Revenons à Polanski et ses vampires: Le Bal Des Vampires, 1968, entre Répulsion (1964) et Rosemary’s Baby (1968). Aux confins de la Transylvanie sub-carpatique, une simple parodie du genre pour certains et une oeuvre magistrale, poétique et burlesque pour d’autres. L’érudit professeur Abronsius (Jack MacGowran) et son disciple (Roman Polanski lui-même) s’aventurent dans les méandres enneigés du royaume des vampires. La farce est farfelue, polaire et solaire aux accents dandy baroques. Hommage parodique aux productions de la Hammer, les artifices sont les mêmes: ail, pin-up des montagnes, crucifix, hurlements de loups, l’idiot du village et l’ignoble Koukol, variante amusante entre le bossu de Notre-Dame et la bête Frankenstein. Et puis le comte Von Krolock qui ressemble bien étrangement à l’imaginaire Dracula inventé par Terence Fisher. Un film de vampires donc, mais chez Polanski l’épouvante est drolatique.
L’humour de Polanski renvoie au théâtre de l’absurde et à l’ingéniosité fantasque du cinéma muet. La figure ébouriffée du professeur Abronsius se révèle comme l’aimable bouture d’Einstein sur le professeur Tournesol. Le duo maître/disciple est génialement lunaire mais en filigrane Polanski nous parlait aussi de sujets plus lourds. Déjà dans “Le Cauchemar de Dracula”, Fisher métaphorisait le désir du sang et les pulsions sexuelles, mais dans cette scène, naïve en apparence, Polanski nous embarque plus loin.
Herber (Iain Quarrier) est le fils de satin du comte Dracula. Pris au piège d’une jolie parade rococo, le discours est bien plus violent et diffuse l’idée d’un viol homosexuel, du moins une tentative. Et puis il y a cette vision brutale et misogyne de la société contrastant avec l’exubérance vampirique des châtelains. Des scènes mémorables, celle du bain qui précède l’enlèvement. Sarah échappe à l’attention d’Alfred car celui-ci n’aura osé regarder par la serrure. Polanski parle de transgression, de voyeurisme. Puis, le numéro d’équilibriste sur les gargouilles hivernales de la forteresse. Le Bal Des Vampires c’est aussi le souvenir d’un visage, celui de Sharon Tate (Sarah), l’épouse de Polanski tragiquement assassinée par la fratrie Charles Manson en 1969.
C’est pour ces subtilités d’écriture, éparses, et cette farce en demi-teinte que Le Bal des Vampires est un film à voir ou à revoir. Comme toujours, le culte ne relève jamais des qualités intrinsèques et parfaitement subjectives d’un film mais s’élève au coeur des légendes périphériques. Et dans ce registre, Le Bal Des Vampires est une farce d’épine, un velours de verre, une étrange affaire fidèle à la tradition Polanski.
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