Kritik16. August 2024 Theo Metais
Locarno 2024: «Bang Bang», œil pour œil, gant pour gant avec Tim Blake Nelson
Membre du Jury de la compétition internationale cette année à Locarno, Tim Blake Nelson était aussi à l’affiche du film «Bang Bang», de Vincent Grashaw, présenté dans une sélection parallèle. L’acteur à jamais lié à l’œuvre des frères Coen y incarne un excentrique pugiliste. Un film à part.
Ancien poids plume et star de la boxe à Detroit, "Bang Bang" Rozyski (Tim Blake Nelson) végète lamentablement entre ses souvenirs, ses pilules et les fioles de whisky. Un régime qui déplaît fortement à sa fille (Nina Arianda) qui, malgré le peu d’affection mutuel, essaie un jour, et en dernier recours, de lui confier son fils (Andrew Liner) quelque temps. Presque la vingtaine, trapu, téméraire, purgeant une peine de travaux forcés, Rozyski décèle chez son petit-fils un potentiel pour monter sur le ring. L’occasion pour lui de retrouver du sens et, qui sait, de résoudre cette rivalité qui le consume avec Darnell Washington (Glenn Plummer), ancien boxeur et maire en devenir.
Teint blafard, corps frêle et humeur prosaïque, Rozyski est une raclure. Il végète en survêtement et beuglent à qui veut bien l’entendre. Au ban de la société, cette ancienne gloire du ring a tourné vinaigre après un match qui s’est jadis mal passé. Alors, quand sa fille débarque avec sa progéniture, l’accueil est pour le moins salé. Baroque, animal et blessé, du haut de sa chaise roulante (qu’il ne chevauche que pour inspirer la compassion) Rozyski fustige avec un sans-gêne de foire. Le bougre a décroché. Et pourtant, l’arrivée de son petit-fils pourrait bien panser ce mal qui le ronge. Fable existentielle tapis dans un murmure de l’Amérique, «Bang Bang» aurait pu être chanté par Dave Van Ronk. En conversation avec Locarno, Tim Blake Nelson s’exprimait ainsi: «il s’agit ici de ce que l’on a perdu pour obtenir la victoire et s’en sortir».
Dans le décor déchu de la métropole du Michigan (Detroit et son industrie automobile en lambeau), les pertes encaissées par Rozyski prennent métaphoriquement une tout autre dimension. Effondrement financier, familial, émotionnel, le décor est au diapason, Rozyski n’est plus régi que par la rancœur. Le cinéaste Vincent Grashaw signe alors une poignante étude de caractère à laquelle se joignent d’autres figures mélancoliques, Kevin Corrigan, notamment, ancien entraineur et triste voiturier de luxe, qui pourrait lui aussi profiter de ce nouvel élan.
«L’association américaine des médecins du ring vous dira que le taux de mortalité est le plus élevé chez les boxeurs dont le père a été dans les parages.» Le petit écriteau (qui en dépit des apparences ne révèle rien de l’intrigue) apparaitra à la fin. Signifiant quelque chose des rêves filiaux, ceux-là mêmes qui vous confortent et vous effraient tant, nombreux sont les êtres à fondre sur l’autel de leurs géniteurs. Dans un monologue à couper le souffle, Tim Blake Nelson fait la lumière sur son frère, les ambitions d’emprunts et les vies brisées. Voilà peut-être la source de ce fiel qui le gangrène: et si Rozyski était passé à côté de son existence?
4,5/5 ★
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