Interview5. November 2019 Theo Metais
Interview Nicolas Bedos et Doria Tillier: «Tous les nostalgiques ne sont pas réactionnaires...»
Nouvelle réalisation de celui que rien ne semble arrêter, sa «belle époque» fait l’unanimité un peu partout. Nous avons rencontré Nicolas Bedos et Doria Tillier au Festival de Zürich début octobre lors de la présentation de leur nouveau long-métrage. Le duo nous parle de cinéma, de «The Game» de David Fincher, du temps qui passe, et du paysage humoristique contemporain.
(Interview réalisée à Zürich par Theo Metais, le 3 octobre 2019)
Dindon d’une farce mélancolique, Victor (interprété par l’impeccable Daniel Auteuil) est un auteur de BD un peu misanthrope, en décalage, lâché, un peu largué, sinon en marge de son époque. Ses dessins (en réalité de la patte de l’excellent dessinateur français Stéphane Levallois) ne se vendent plus. Il y eut quelques planches, jadis, mais le succès, léger, a fondu comme neige au soleil. Sa femme (Fanny Ardant) aussi, comme la gloire, se fait doucement la malle, elle, avec son meilleur ami (Denis Podalydès). Vaudeville classique.
Alors quand il lui est offert la possibilité de revivre une époque, Victor décide de revivre cette soirée de 1974, à Lyon, dans ce café où il fit la rencontre de celle qui partagera sa vie. Voilà l’entourloupe fondée par Antoine (Guillaume Canet), sorte de magnat excentrique à la tête d’une entreprise qui organise des voyages dans le temps sur-mesure. Au beau milieu d’un entrepôt de la région parisienne, les décors sont trompeurs, la magie prend et le voyage de Victor nous a rappelé une branche du cinéma qui mêle le rêve à la réalité, un peu de «The Truman Show», «La Rose pourpre du Caire», «The Game» aussi…
Doria Tillier - Je peux vous dire un truc sur «The Game»? Parce que j’étais à Los Angeles à COLCOA (ndlr: Festival du film français à Los Angeles), et à l’issue de la projection on a fait une Q&A (...) et le mec qui m’a interrogé c’est le producteur de «The Game». Il me dit qu’il adore «The Game», mais que finalement, il a toujours trouvé que quelque chose ne marchait pas totalement dans la mise en scène et que l’on n’y croyait pas entièrement. Alors il m’explique que des films qui parlent de ce sujet sont peu nombreux, mais qu’il les regarde avec attention et que c’est la première fois qu’enfin, il voit un film qui réussit ce travail.
«J’avais envie de faire un film qui fasse du bien, à moi, et à tous ceux qui, sans condamner le progrès, se sentent un peu perdus....»
«La belle époque» colmate les plaintes de David Fincher, avouez que le compliment a de la ressource. Et alors que le précédent «Monsieur & Madame Adelman» était composé à quatre mains avec Doria Tillier, «La belle époque» fut composé en solo…
Nicolas Bedos - «Depuis «Monsieur & Madame Adelman», j’ai écrit plusieurs intrigues, plus ou moins satisfaisantes. Je cherchais celle qui serait un terrain de jeu personnel, intime et fictionnel suffisamment excitant du point de vue du cinéma. Moi je veux faire du cinéma! Cassavetes aussi fait du cinéma, mais quand je dis cinéma c’est avec un grand C. Une sorte de gourmandise de décors, de coiffures et de musiques aussi. Et c'est vrai que mes propres malaises face aux révolutions technologiques, politiques, mêlés au dépit et au côté un peu effaré de mon père, et de ma mère, de nos proches... j’avais dîné avec un type, que j’aime beaucoup, un homme plutôt ouvert au progrès, à l’avenir et à la jeunesse, mais qui me confiait, une fois de plus et ce n’était pas le seul, qu'il se sentait un peu largué. Et cette image de Victor m’est apparue. J’avais envie de faire un film qui fasse du bien, à moi, et à tous ceux qui, sans condamner le progrès, se sentent un peu perdus.
Et une question émerge de «La belle époque». En effet ce grand débat inarrêtable autour du progrès, de ceux qui s’en détachent, ou des laissés-pour-compte. Dans «La belle époque» aussi se confrontent les aînés et leurs enfants, quelque part entre modernité, mélancolie et le comportement, parfois un peu réactionnaire, du personnage principal de Victor...
Nicolas Bedos - «Je ne dirais pas qu’il est complètement réactionnaire. Ce qui lui manque dans les années 70 c’est aussi les pétards, l’alcool, la bouffe. Il n’est pas réac, il traverse une partouze, il est plutôt ouvert à la déconne. Je crois qu’il est plutôt emmerdé par le côté réactionnaire de l’époque actuelle. C’est très important dans le film. Tous les nostalgiques ne sont pas réactionnaires.
«Je pense que l’on a toujours une petite tendresse pour l’époque où on était plus jeune, plus amoureux, plus beau...»
Alors, on a eu envie de leur poser une question, pour brosser large et se réconforter peut-être du temps qui passe. Pour tous les paumés et autres largués, et notre Victor en cheval de Troie, en marge de sa Fanny Ardant, elle psychanalyste digitale finalement assez bancale... Au fond qu’est-ce que ça veut dire vivre avec son temps?
Doria Tillier - Je crois que ça veut simplement dire vivre avec soi. D’ailleurs le film ne dit pas que c’était mieux avant. Daniel Auteuil à un moment dans le film, on lui demande qu’est-ce que vous aimiez dans les années 70? Alors il répond ça, ça, ça et ça, et puis... j’étais plus jeune. On a toujours le fantasme que l’on était plus heureux à une époque où l’on était plus jeune, plus insouciant.
Nicolas Bedos - C’est comme une langue nouvelle, c’est comme un pays nouveau, c’est comme un climat nouveau; plus les choses arrivent tard plus elles sont troublantes. Après, on peut en discuter interminablement, c’était un grand débat sur le plateau. Qu’est-ce qui était mieux avant? Qu’est-ce qui est mieux aujourd’hui? En quoi le personnage a tort? En quoi c’est réac? Je pense que l’on a toujours une petite tendresse pour l’époque où on était plus jeune, plus amoureux, plus beau et qu’on avait la vie devant soi.
«À une époque, on faisait encore rire avec de l’inédit. Mais ça n’existe plus...»
Quelque part entre modernisme et nostalgie, «La belle époque» est aussi un métrage aux pourtours humoristiques et aux dialogues cinglants. Alors l’humour dans tout ça? Peut-on considérer qu’il y a une «belle époque» du rire?
Doria Tillier - Je ne sais pas s’il y a jamais eu une «belle époque» du rire, mais j’ai l'impression que nous ne sommes pas dans la meilleure. (rires) Ce qui faisait rire à une époque, c’était l’outrance, mais de la bonne outrance. À une époque, on faisait encore rire avec de l’inédit. Mais ça n’existe plus. On essaye juste d’être de plus en plus trash, et de manière assez gratuite. Je trouve que certains genres d’humour courent avant tout après le rire sonore, le rire immédiat. Alors c’est très bien, mais j’aime aussi quand ce rire sonore se fait l’écho d’une pensée plus profonde.
Nicolas Bedos - Et puis il y a une époque où on inventait les choses. Là c’est devenu une discipline commerciale, et donc la méthode n’est plus inédite. On ne peut pas avoir la même surprise devant une provocation qui est la 14000 ème sur la religion, le physique... On sent bien qu’il y a quelque chose d’un peu poussif. Je ne regarde plus trop les humoristes, car depuis que je ne fais plus d'humour à la télévision je suis un peu jaloux (rires), mais en effet, il me semble plus compliqué d’innover en 2020.
Une fable des plus charmantes. Les réminiscences d’une mélancolie, presque irritante, pas sûr que «La belle époque» soit complètement innovant et pourtant, Nicolas Bedos révèle une mise en scène gargantuesque façon «Le Porteur d'histoire» de Alexandre Michalik et une écriture unique qui ne cesse de s’attirer les faveurs du public depuis sa présentation Hors Compétition à Cannes. «La belle époque» est à découvrir dès le 6 novembre sur les écrans romands.
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