Interview18. November 2024

Agathe Riedinger sur «Diamant brut»: «Les réseaux sociaux sont la plus grande télé-réalité du monde»

Agathe Riedinger sur «Diamant brut»: «Les réseaux sociaux sont la plus grande télé-réalité du monde»
© Marine Guillain / Cannes 2024

C’est sur un rooftop de la Croisette que Cineman a rencontré la cinéaste française lors du Festival de Cannes, en mai dernier. Son premier long métrage, «Diamant brut», était l’un des quatre longs métrages réalisés par une femme en compétition officielle.

(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain)

«Diamant brut» suit une adolescente française, Liane, qui rêve de devenir star de télé-réalité. Avec ce premier long métrage, Agathe Riedinger propose une plongée fascinante dans les entrailles d’un milieu ambigu et d’un phénomène qui a déchaîné les passions lors de son apparition à la télévision française, il y a plus de vingt ans déjà.

Cineman : «Diamant brut» est le prolongement de votre court métrage «J’attends Jupiter», que vous avez réalisé en 2017: pourquoi la thématique de la télé-réalité vous intéresse autant ?

Agathe Riedinger : Cela fait très longtemps que je regarde de la télé-réalité, j’en regarde encore aujourd’hui. Il y a sept ans, je m’interrogeais sur le divertissement qu’est censé être la téléréalité, qui au fond n’a rien de léger, car ces programmes sont fabriqués avec beaucoup de mépris de classe et véhiculent des valeurs telles que l’hypersexualisation de la femme et la culture du viol. On y voit une impunité concernant le harcèlement ou les agressions sexuelles. J’ai trouvé cette violence si forte que j’avais besoin d’en parler. La téléréalité est aussi le miroir de la société, qui met en avant des valeurs de plus en plus extrêmes et radicales. Et puis il y a une vraie ambivalence dans cet univers.

Une ambivalence… à quel niveau ?

AR : J’ai beaucoup réfléchi sur les motivations des candidats et candidates, qui sont majoritairement issu·es de classes populaires. Pour des personnes qui ont moins accès aux études ou à l'emploi, la télé-réalité peut être une alternative au chômage, un moyen d’accéder à un statut social, de cocher les cases de la réussite telle que la société capitaliste nous l’ordonne, une opportunité pour retrouver de la dignité. Elle peut aussi servir de tremplin pour les influenceuses : les réseaux sociaux sont la plus grande télé-réalité du monde, ces deux univers ont besoin l’un de l’autre pour exister.

Agathe Riedinger sur «Diamant brut»: «Les réseaux sociaux sont la plus grande télé-réalité du monde»
«Diamant brut» de Agathe Riedinger © Filmcoopi Zürich AG

Votre regard sur ces émissions a-t-il évolué au fil des ans ?

AR : Bien sûr. J’ai commencé en regardant Loft Story, comme une émission de divertissement pur. ll y a une identification et une proximité qui se crée avec les participants et participantes, dont je me sentais très proche. Ensuite, mon regard est devenu analytique et critique, lorsque j’ai vu les femmes qui subissaient du harcèlement ou des injonctions. Un jour, j’ai vu un documentaire sur les grandes courtisanes du 19e et du 20e siècle, que l’on appelle les cocottes. Il s’agit de femmes issues de milieux modestes qui ont utilisé leur beauté pour s’affranchir de leur condition et mettre les plus grands hommes d’Europe à leurs pieds. Cette ascension et ce rapport au corps et aux vêtements est identique, à un siècle d’écart!

Selon vous, les candidates de ce type de programme subissent-elles donc les injonctions ou au contraire, les renversent-elles à leur avantage ?

AR : Justement, c’est la question que je me pose encore. Comme les cocottes, peut-être qu’elles utilisent leur beauté comme une arme pour s’imposer et s’émanciper du patriarcat. Ou alors, peut-être qu’elles se rendent désirables parce que c’est ce que la société attend d’elles. La télé-réalité bouscule beaucoup de codes sur la représentation de la femme et de la beauté, dont je trouve qu’il se dégage beaucoup de puissance.

Qui est Liane et comment êtes-vous arrivée à ce personnage ?

AR : Liane est un portrait général de multiples candidates de télé-réalité et de la courtisane Liane de Pougy. Elle est en colère et idéaliste, elle a un rêve auquel elle s’accroche. La religion a une place importante pour elle car ça lui donne de la force. En même temps, ça montre sa vulnérabilité, sa profondeur, elle cherche un appui qu’elle n’a pas trouvé dans sa famille, avec sa mère. Elle s’est enfermée derrière l’image qu’elle a voulu fabriquer, elle se construit à travers le regard des autres, elle subit la pression, la tyrannie de la beauté. Elle est concentrée sur son objectif et cette obsession ne laisse que peu de place à la joie.

Agathe Riedinger sur «Diamant brut»: «Les réseaux sociaux sont la plus grande télé-réalité du monde»
«Diamant brut» de Agathe Riedinger © Filmcoopi Zürich AG

Comment avez-vous trouvé l’actrice, Malou Khebizi, qui n’avait jamais fait de cinéma avant ?

AG : Liane se sent inconnue, écrasée et invisible, donc pour que ce soit cohérent, il me fallait une jeune fille qui arrive avec une absence de codes de jeu et d’expérience. Nous avons fait un casting sauvage qui s’est étalé sur huit mois. Nous avons rencontré Malou très vite, mais j’ai pris le temps avant de lui proposer le rôle. Je voulais m’assurer qu’elle aurait assez de recul pour comprendre le personnage et ne pas se faire engloutir, ni par Liane ni par la charge de travail sur le tournage, qui allait être très physique. Travailler avec des jeunes femmes qui n’ont pas les mêmes codes et qui voient les choses d’une autre manière que moi a été très intéressant.

Comment avez-vous pensé l’aspect visuel de «Diamant brut» ?

AR : Pour écrire, j’ai besoin d’avoir des images en tête. Le format 4/3 était voulu depuis le début, cela fabrique une image très iconique et permet de travailler le hors champs. Je trouve ce format très riche et dans ce cas-là, il permet de montrer l’enfermement dans lequel Liane se sent. Du côté des couleurs, il fallait que ce soit flamboyant, incandescent : Liane veut qu’on la voit, donc le film devait être coloré, chargé et dense.

Plus d'informations sur «Diamant brut»

Au cinéma le 20 novembre.

Bande-annonce de «Diamant brut»

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