Interview16. September 2024 Cineman Redaktion
Mohammad Rasoulof pour «Les Graines du figuier sauvage»: «Quoiqu'il m'arrive, il fallait finir le film»
Présenté à Cannes puis à Locarno, «Les graines du figuier sauvage» sort sur les écrans romands ce mercredi. Cineman a rencontré le cinéaste iranien au parcours hors du commun lors du festival tessinois.
(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain.)
La température devait avoisiner les 36 degrés, ce dimanche 11 août. Une petite table et quelques chaises avaient été disposées dans l’herbe sous un arbre, dans les environs de la Piazza Grande, pour tenter de garder un peu de fraîcheur. Lorsque ce fut notre tour, cela faisait déjà plusieurs heures que Mohammad Rasoulof répondait aux questions des journalistes, et une autre session toute aussi longue l’attendait le lendemain, après la présentation des «Graines du figuier sauvage» sur la Piazza Grande et une émouvante standing ovation. Malgré un état de fatigue probable, celui qui a fait de la prison et a fui l’Iran au mois de mai dernier ne s’est en rien départi de sa vigueur pour répondre aux questions, tenant plus que tout à raconter «des récits vrais et importants».
Ayant rencontré lors de ses incarcérations des prisonniers politiques qui n’ont toujours pas été libérés aujourd’hui et qui ne peuvent pas transmettre leur voix, le réalisateur dissident explique vouloir à tout prix trouver un moyen de retranscrire à l’extérieur des murs ce qui se passe à l’intérieur. Son long métrage, un thriller politique autour d’un foyer harmonieux qui se divise ensuite autour du mouvement «Femme, vie, liberté», serre les entrailles et impressionne par sa puissance et sa soif de liberté.
Cineman : Qu'avez-vous ressenti lorsque le mouvement «Femmes, vie, liberté» a démarré?
Mohammad Rasoulof: Je me trouvais en prison à ce moment-là. J'entendais un peu parler de ce qu'il se passait à l'extérieur. Une nuit, il y a eu un feu dans une autre section de la prison, et j'ai pensé qu’il s’agissait peut-être de personnes de l'extérieur, qui faisaient une Révolution comme à la Bastille, et qui allaient venir nous sauver! (il éclate d’un rire franc.) En prison, nous avions accès à la télévision et aux journaux, mais il s'agit des nouvelles officielles, donc avec une grande censure. Par contre, nous avions droit à des contacts téléphoniques, chacun avec environ cinq de nos proches. Là, on entendait les vraies informations. Tous les prisonniers politiques en avaient des différentes et on se les échangeait. Lorsque le mouvement a pris de l’ampleur, j’ai été effrayé et impressionné! J'ai trouvé que les femmes étaient plus courageuses que les hommes.
D’où vient l’idée du scénario des «Graines du figuier sauvage»?
MR: Lorsque j'étais en prison, un gardien m'a donné un stylo. J'étais un peu suspicieux alors je lui ai demandé pourquoi il faisait ça, et il m'a répondu : «Je travaille ici, mais chaque jour, je pense à me pendre, tellement je me sens coupable». Il m’a dit que ses enfants lui demandaient ce qu’il faisait et qu’il avait honte de lui, et c’est là qu’est née dans ma tête l’idée de cette histoire de famille et de ce père qui a honte de ce qu’il fait, car après la fierté d’avoir été promu au tribunal où il travaille, il découvre qu’il doit en réalité valider arbitrairement des condamnations à mort.
Comment est-il possible de tourner un film clandestinement en Iran, dans un tel contexte politique et alors que vous êtes déjà dans le viseur des autorités?
MR: C’est sûr qu’une fois que votre nom est dans les papiers de la commission de censure, tout est bien plus difficile et plus dangereux. Mais tout était organisé pour que je ne me fasse pas attraper. J'étais souvent loin du plateau, à l'arrière d'une voiture avec un foulard sur le visage, et je donnais des instructions à 200m de distance dans un talkie walkie. Si la police ou des investigateurs arrivaient, j'étais prêt à m'enfuir rapidement.
Condamné à plusieurs années de prison et à des coups de fouet, vous avez fui l’Iran quand le film n'était pas tout à fait fini: comment l'avez-vous terminé à distance?
MR: Au milieu du tournage, j'ai reçu la première condamnation. J'ai demandé à mon avocat combien de temps il me restait avant d’être incarcéré. «Deux ou trois mois», m'a-t-il dit. Alors j'ai voulu finir le film durant ce laps de temps. Mais c'était la période de Norouz, le Nouvel An du calendrier persan, ce qui resserrait le temps car tout va un peu plus lentement. J'étais en contact permanent avec le monteur du film à Hambourg, on travaillait ensemble et il montait les rushs au fur et à mesure du tournage. Je lui ai dit que je ne savais pas ce qui allait m'arriver, que peut-être il n'allait plus entendre parler de moi durant un moment, mais que quoiqu'il m'arrive, il devait finir le film.
Est-ce qu’aujourd’hui, les membres de l’équipe du film et vous-même êtes en sécurité?
MR: Je ne peux pas dire qu'ils sont en sécurité, car ils sont sous pression psychologiquement. Celles et ceux qui sont en Iran ne peuvent pas quitter le pays, leurs passeports sont confisqués et ils et elles ne peuvent pas travailler. Quant à moi, je ne veux pas parler précisément de comment j'ai quitté l'Iran car c'est trop dangereux. Mais grâce à l'aide de prisonniers rencontrés en prison et à mes connaissances en Europe, je suis passé par plusieurs pays, que je garde secrets, avant de rejoindre l’Allemagne. L’exil est pour l’instant le seul moyen pour que je puisse continuer à réaliser des films. En prison, on essaie en permanence de nous détruire, c’est très difficile, mais ça renforce aussi, ça motive encore davantage. On ne m’empêchera jamais de me battre pour ce en quoi je crois.
«Les Graines du figuier sauvage» est à découvrir au cinéma à partir du 18 septembre.
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