Review4. Juni 2021 Sven Papaux
«Lisey's Story» sur Apple TV+ - L’imaginaire d’un écrivain dresse une terrible histoire d’amour
Rien que son plateau fait frissonner, rien que ce livre et sa genèse nous dressent les poils. Apple TV+ met le paquet avec «Lisey’s Story», une série marquante, étrange et vertigineuse à plusieurs égards.
Pour commencer, une citation de Scott Landon: «Every marriage keeps its own secrets». Nous voici embarqués dans une série qui dévoilera une myriade de secrets et chemins de traverse. Adapté par Stephen King en personne et réalisé par Pablo Larrain («Jackie», «El Club»), le projet a de la ressource, son générique aussi. L’histoire nous envoie dans la vie de Lisey (Julianne Moore), endeuillée par la mort de son mari écrivain, le fameux Scott Landon (Clive Owen). La mort et les angoisses, la folie à son paroxysme et surtout les chemins vers le terreau de la création, «Lisey’s Story» est l’histoire d’une femme qui partage les secrets enfouis de son mari, pendant 25 ans, et qui dorénavant doit découvrir ces pages noircies par ses ténèbres intérieures.
Cette grande parabole de la création, les tourments d’un écrivain n’ont peut-être jamais été aussi bien isolés dans une série. À la baguette, Stephen King produit un scénario complexe sur le deuil, mais surtout sur la création. Une grande métaphore sur le travail créatif et ses sombres côtés. Et Lisey, durant ses longues années aux côtés de son mari tourmenté, n’avait pas mesuré l’ampleur de la folie créative, ou plutôt de ce gouffre. La série s’évertue à mettre en lumière les petits secrets d’un mariage et d’un amour, la délicatesse de partager la vie d’un artiste prolifique. Échafaudée en trois couches distinctes - présent, passé et imaginaire -, «Lisey’s Story» déborde de toutes parts, à la conquête d’un trésor. «Est-ce la réalité ou est-ce mon imagination» chuchote Lisey. Cette simple phrase dessine l’onirisme qui enveloppe cette histoire d’amour à la King: rien n’est comparable, un tel appétit pour l’horreur et venant se coupler à un amour incandescent, ça n’est pas commun.
«Pablo Larrain et la photo hallucinante de Darius Khondji rendent hommage à la densité créative de Stephen King...»
Questionner et surtout mettre en lumière ces partenaires de l’ombre, qui digèrent les caprices de la célébrité; Lisey acquiesce, Lisey encaisse, Lisey persévère. Le langage a ses secrets et ses mythes, les mots, et sa source d’imagination qui aborde de manière intrigante le chemin à emprunter pour éclairer les recoins de l’âme du romancier. Pablo Larrain et la photo hallucinante de Darius Khondji rendent hommage à la densité créative de Stephen King. Dans «Lisey’s Story», rarement une série avait autant sondé la face sombre d’un auteur; les paroles de Landon sont des chandelles illuminant timidement un paradis boueux et incertain. Des promesses tenues, des envolées d’une rare beauté - tant visuellement que narrativement. Un tel alliage de fantaisie et de réalisme nous perd, tant il y a de l’épaisseur, tant on mesure le vertige de cet amour que même la grande faucheuse ne peut contenir.
Pour porter ce conte - ou romance - onirique, Julianne Moore et Clive Owen sont excellents. Pour maltraiter cet amour infini, un Dane DeHaan glaçant. Des performances solides pour une idylle vertigineuse que le temps et l’au-delà ne peuvent effacer, même pas la marque des baisers. On ne peut qu’accepter les fautes d’un récit parfois trop enchevêtré, parfois boursoufflé, parce que le cœur parle des limbes d’un imaginaire effrayant, mais diablement poétique. «Ô le pauvre amoureux des pays chimériques», disait Baudelaire.
4/5 ★
«Lisey's Story» est à découvrir dès maintenant sur Apple TV+.
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