Article16. Dezember 2017 Theo Metais
Très chère science-fiction, qui es-tu ? D’où viens-tu ?
A l’heure de la sortie de “Star Wars: The Last Jedi”, et du récent remake de “Blade Runner” par Denis Villeneuve, nous avons eu envie de (re)contextualiser et de (re)poser naïvement deux questions: Très chère science-fiction, qui es-tu et surtout d’où viens-tu ?
1 - Préhistoire et propagande politique
En littérature, elle est inspirée par les oeuvres de Jules Verne et H.G. Wells et le terme apparaît en 1929. Puis au cinéma, il y aura “Le Voyage dans la Lune” de Méliès (1902). Mais instinctivement et nous n’aurions pas complètement tort, à la question des origines de la SF au cinéma, nous aurions tendance à répondre “Metropolis” de Fritz Lang. On se dit: Berlin, l’Allemagne d’entre-deux-guerres, plus le caligarisme, le futurisme, et la dépression sociale, on sent la bonne pioche ! Et quand on sait que le scénario est adapté du roman de son épouse, qui adhéra en 1940 au Parti national-socialiste des travailleurs allemands, on se dit que la SF est une cousine de la propagande politique et que l’on s’approche d’une histoire fascinante.
Fascinante ? Elle l’est, mais quelques années avant en Russie, un autre film fera lui aussi figure de pionnier du genre: “Aelita” (1924). Un film muet, le premier film de SF soviétique alors que la révolution d’Octobre est en passe de se consolider. Utopie d’une révolution mondiale, expansion au-delà des frontières; l’idéologie communiste dégorge de ce film où un ingénieur ne se rend sur la planète Mars que pour aider une révolution. Depuis ses premières lunes, la SF s’imprègne de son époque, sensibilise, et témoigne autant qu’elle avertit. Pour le meilleur ou pour le pire …
2 - Monstres humains et “grosses bestioles”
Dans les années 30/40 émergeront les premières visions de l’homme modifié. Loin des utopies de Voltaire ou Thomas Moore, le cinéma confronte le corps humain avec le progrès scientifique. Il y aura “Dr. Jekyll et Mr. Hyde” (1931), “L’Homme invisible” (1933), “La Féline” (1942). Toujours pour nous parler du présent, les métamorphoses libèrent l'inconscient. Sans oublier “Frankenstein” (1931), “Dracula” (1931) ou encore Le “Loup-garou” (1941) qui permettent déjà une introspection sur l’Homme et ses caractéristiques constitutives.
Terrifiant n’est-ce pas ?
Quelques coupes historiques et autres raccourcis volontaires plus tard, et nous voilà en plein âge d’or de la SF: les années 50. Littéralement abasourdi par les tensions dues à la guerre froide, à l'angoisse d’une invasion intérieure et du nucléaire, le contexte géopolitique insuffle un genre nouveau au cinéma fantastique. Dans les années 50 au cinéma c’est l’apparition de ce que l’on peut appeler des “grosses bébêtes” gigantesques et hostiles venant d’ailleurs. L’écran reflète un drôle de message, souvent représentatif de la pensée dominante. Brièvement, “tout ce qui est étranger est dangereux” (“Them!” (1954) “Le Monstre des Temps perdus” (1953)...). Au cinéma le fond de l’air est trouble et, au japon par exemple, les angoisses d’un pays atomisé s’expriment en la personne de Godzilla:
3 - Le temps et l’espace
Entre les années 50/60, la SF scrute le ciel, le fantasme et s’en inquiète. Une confrontation entre le militaire et le scientifique émerge. L’histoire de la guerre froide nous colle à la peau. Nous pourrions citer ici le magnifique et drolatique “Docteur Folamour” de Stanley Kubrick (1964) ou encore son très visionnaire “2001, Odyssée de l’espace” (1968). La science-fiction transfigure les méditations sur l’homme et la société et embraye sur des épopées interplanétaires. Initiée en 1930 avec “Just Imagine”, la SF développera aussi une certaine idée du voyage dans le temps pour des ambiances plus steampunk. Mais atterrissons deux minutes du côté de "Alphaville" (1965) chez Godard.
La poésie de Paul Eluard, Eddie Constantine, Anna Karina et la dictature d’Alpha 60 trois ans avant la machine HAL de Kubrick (“2001, Odyssée de l’espace”); une histoire d’amour, une lumière expressionniste et des univers dystopiques aux accents film noir qui inspireront notamment le “Blade Runner” de Ridley Scott (1982). En France, la SF rencontre alors le cinéma d’auteur pour des dialogues très Nouvelle Vague:
«Alpha-60 : Savez-vous ce qui transforme la nuit en lumière ?»
«Lemmy Caution (Eddie Constantine): La poésie.»
4 - Espace, super-héros et numérique !
Dans le années 70 et jusqu’aux confins des années 2000, la SF explora divers horizons. Elle oscille entre les voyages dans l’espace, l'essor des super-héros et les méditations pessimistes sur les nouvelles technologies. Il nous faut alors mentionner, l'inévitable et cultissime premier volet de la saga “Star Wars” (1977) de Georges Lucas et un an plus tard, le “Superman” (1978) de Richard Donner ou encore le fameux “Blade Runner”.
Inspiré du roman de Philip K.Dick, "Blade Runner" est une vision cataclysmique, poétique et profondément pessimiste du futur à l’aube du 21ème siècle. Le film fait le lien entre les méditations sociales de "Metropolis" (1927) et une transfiguration de l’intelligence artificielle. Entre l’anti-utopie, le fantasme de l’être humain modifié, son ambiance film noir et un Los-Angeles en phase terminal, "Blade Runner" deviendra l'emblème de la culture cyberpunk:
5 - Catastrophe et vision post-apocalyptique
Cette rapide rétrospective s’achève sur la tendance film catastrophe et post-apocalyptique de la SF de ces dernières années: “Le Jour d’après” (2004), “La Route” (2009), “28 Jours plus tard” (2002) … Ce 21ème siècle est marqué par la hantise d’un effondrement économique, social, technique ou technologique. Le réchauffement climatique ou encore le terrorisme composent les points chauds d’un nouveau cinéma et la SF s’est toujours imprégnée des climats anxiogènes.
Concluons donc avec le duo Clive Owen et Julianne Moore dans le superbe “Children of Men” (2006): un film d’anticipation dystopique sur fond de crise démographique. Les références à George Orwell et son “1984” sont nombreuses. Le film nous ramène aussi à certaines des prophéties d’Aldous Huxley. Située en 2027, l’intrigue oppose sécurité et liberté dans une réflexion sur la place de l’homme et la planète que nous laisserons aux générations futures :
Contrairement à une idée répandue, entre film d’anticipation, le post-apocalyptique, le space opéra, l’uchronie, le steampunk ou encore le cyberpunk, la SF ne se résume pas à une exploration galactique. Son rôle est capital mais se retrouvent régulièrement confinés aux coeurs de productions homériennes. Bercée de prequel et sequel et étouffée de deliriums visuels, on est en droit de se demander si la SF au cinéma ne deviendrait pas une bête de cirque, purement et simplement esthétique.
Certains considèrent que son rôle de lanceuse d’alertes s’affaiblit ou du moins stagne depuis quelques décades. D’autres, plus pessimistes iraient même jusqu’à penser qu’elle a échoué… Car en effet, dérèglement climatique, sociétés orwelliennes, pessimisme technologique, montée des extrêmes et du fanatisme, les prophéties de la SF se sont en grande partie réalisées. Quoi qu’il en soit, une rapide rétrospective permet déjà de mieux cerner les champs d’actions de la SF contemporaine et d’affiner son esprit critique !
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