Et puis nous danserons France, Georgia, Suède 2019 – 106min.
Critique du film
Chorégraphie d’une libération
Cinéaste suédois d’origine géorgienne, Levan Akin signe son troisième long-métrage après Certain People et The Circle et son premier film géorgien avec Et puis nous Danserons. Après une saison de festival et quelques récompenses (Gold Hugo du meilleur film au Festival international du film de Chicago, Peace Award pour Levan Akin au Festival du nouveau cinéma de Montréal, meilleure interprétation pour Levan Gelbakhiani et grand prix du meilleur film pour le réalisateur au Festival du film d’Odessa…) il a été présenté à Cannes pour la Quinzaine des réalisateurs et est finalement en salles en ce début décembre.
Et puis nous danserons entraine le spectateur vers les racines culturelles de son réalisateur. Au rythme des danses traditionnelles géorgiennes, deux mondes se côtoient sans se comprendre. L’un est profondément conservateur et réunit les anciennes générations qui ont connu l’air soviétique. L’autre, connecté, vit au rythme de l’Europe et veut s’extraire du carcan rigide des traditions.
Entre ces deux pans d’une même société, l’un comme l’autre pétris de préjugés, éclot l’histoire d’amour de deux danseurs, celle des jeunes LGBT géorgiens, de leur lutte pour exister dans un pays qui pense que l’homosexualité est une insulte au patrimoine culturel. Merab (Levan Gelbakhiani), danseur traditionnel faits des vrilles sur la pointe des pieds et se prend de plein fouet l’arrivée d’Irakli à l’Ensemble National Géorgien. Le premier, gracile et effacé, fait de ce nouveau danseur son rival et l’objet de tous ses désirs et, ensemble, ils incarnent tout le dilemme de la jeunesse géorgienne.
Derrière cet énième film racontant l’histoire d’un coming-out dans un milieu hyper compétitif se cache un drame intime qui raconte l’affranchissement du corps par la danse, l’affirmation de la sexualité par l’appropriation des traditions. Sous le regard d’un professeur despotique, le désir ardent de Merab, jusqu’alors contenu dans la rigidité de sa danse, finit par déborder devant l’érotisme d’Irakli. Comme Lukas Dhont filmait la trajectoire d’une ballerine transgenre avec Girl, c’est le besoin d’intimité, de liberté et d’affranchissement qui se dessine derrière les chorégraphies traditionnelles et inflexibles.
Et puis nous danserons a bien du mal à décoller. Sa première partie est froide. Elle met le spectateur à distance. Et conjugué avec son schéma narratif très classique (quête identitaire niée, révélation, douceur amère du premier amour, rejet, impossibilité), le premier quart du film peine à être spontané et vraiment envoûtant. Il est à l’image de ses danses: une jolie maîtrise des codes. Un week-end entre ami suspend le temps, laissant à son personnage principal tout le loisir de révéler. Les tambours traditionnels laissent place à des sons bien plus pops. S’en suit une scène de danse libératrice, convenue mais réussie, esthétique par les stroboscopes d’une boîte de nuit électro.
Mais porté par la remarquable justesse de l’interprétation Levan Gelbakhiani, par sa palette de couleurs chaudes et dorées, le métrage voit ses longueurs s’effacer progressivement. Levan Akin capte avec une beauté rare l’idylle fougueuse et saisissante des deux danseurs. Devant la caméra, l’intensité de la tendresse des deux personnages est d’autant plus importante qu’elle est filmée dans un pays où pèsent autant de risques sur les homosexuels. La mise en scène répond au personnage principale. Parfois triste, elle sait se faire joyeuse, touchante et lyrique. En bref!
Avec justesse, mais sans sortir des codes, Levan Akin ne raconte pas l’histoire d’un rejet. Les jeunes n’ont pas la volonté effrénée de brûler leur culture et d’anéantir leur héritage avec, mais bien l’envie de se la réapproprier pour la faire évoluer. Ne reste plus après la danse finale, catharsis du personnage principal qui s’assume enfin, qu’une salle vide au sol défraîchi et une lueur d’espoir.
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