Grâce à Dieu Belgique, France 2019 – 137min.

Critique du film

La parole libérée

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

De passage au 69ème Festival international du film de Berlin, François Ozon décroche l'Ours d'argent pour ce 18ème long-métrage. Véritable chemin de croix pour les victimes du prêtre Preynat, le réalisateur signe ici une oeuvre citoyenne intense qui revient sur une affaire de pédophilie au sein de l’Eglise catholique française.

Dans le ciel du diocèse, Notre-Dame de Fourvière répond à Part-Dieu. D’aucuns y verraient des anges gardiens dans la capitale des Gaules, pourtant, entre les murs et protégé par la Sainte coupole du pardon, un animal pédophile accompagnera pendant 20 ans de jeunes enfants chez les scouts. Quatre décennies après, une plainte met le feu aux poudres et réveille la haine de dizaines de victimes du père Preynat (parfaitement écœurant sous les traits de Bernard Verley). Les prescrits rangés au placard, rien ébranle les chapeautés en soutane. Pourtant la création de l’association La parole libérée fait l’effet d’une bombe.

Loin de son canevas habituel, François Ozon défraie la chronique avec son nouveau long-métrage. Présenté au 69ème Festival international du film de Berlin, il décroche l’Ours d’argent avec ce film choral qui retrace le combat d’anciennes victimes d’un prêtre pédophile lyonnais. Une fiction basée sur des faits réels, d’hier et d’aujourd’hui. Hasard du calendrier, la sortie du film tombe en amont des procès et chatouille les avocats de la défense. Si Ozon condamne et chope à la gorge une institution coupable de silence, il s’agit moins de démêler les responsabilités de l’Eglise que d’étudier les effets de la parole libérée sur les victimes et leur entourage.

Et il fallait une distribution d’une sacrée trempe pour porter l’histoire. Avec les élégantes et magistrales interprétations de Denis Ménochet, Melvil Poupaud et Swann Arlaud (sans doute le plus magnétique à l’écran), Grâce à Dieu est à la fois abjecte lorsqu’il confronte Preynat à ses victimes, infâme quand Barbarin tolère, viscéral quand la caméra de Manu Dacosse renvoie à l’enfance, d’un charisme à refaire l’histoire quand Denis Ménochet s’en mêle, ou délicat lorsqu’il ouvre un débat plus large sur les violences sexuelles. Un film sur la parole, libérée. Une première partie épistolaire laissera place aux combats éclatés et éclatants des différentes victimes. Une facture, certes un brin conventionnelle, qui porte néanmoins son message avec puissance et humilité.

En bref !

Là où la justice tente de démêler les responsabilités, Ozon marche aux côtés des victimes, rend hommage à l’association La parole libérée et Grâce à Dieu devient une fresque à bords tranchants sur la libération de la parole et l’émancipation.

15.05.2019

3.5

Votre note

Commentaires

Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.

Login & Enregistrement

CineFiliK

il y a 5 ans

“La parole sacrée”

Alexandre Guérin, père de famille nombreuse et catholique pratiquant, découvre que le prêtre qui l’a abusé enfant, est toujours en activité. Il en informe le cardinal Barbarin, qui peine à agir. Une plainte est alors déposée, encourageant d’autres victimes à témoigner.

Sur l’esplanade de Notre-Dame de Fourvière s’avance l’archevêque qui s’en va bénir la cité. La basilique blanche domine Lyon et pèse de tout son poids sur les âmes et les consciences. Issus de milieux différents, Alexandre, François et Emmanuel, se rejoignent dans le traumatisme. Ils ont tous trois, comme tant d’autres, subi les attouchements, les étreintes et baisers d’un homme d’église et de confiance. Les ailes brisées, ils se sont construits en oubliant, niant ou somatisant leur mal, avec ou non le soutien de leurs proches. Face au silence insupportable de l’institution, la parole se libère et eux aussi.

Ozon souffle sur les flammes de l’enfer dans cette histoire vraie et pas encore jugée, au risque de les attiser. Les accusés portent leurs vrais noms, au contraire des plaignants. Mais l’agent provocateur du cinéma français évite le brûlot anticlérical attendu. « Je ne fais pas ça contre l’Eglise, mais pour l’Eglise », clame l’un de ses personnages. Porté par des acteurs justes, son enquête reste digne de bout en bout, sans tomber dans la vindicte radicale ni dans le voyeurisme. Face à la force des mots, les scènes du passé, pas toujours nécessaires, entraînent une émotion plus évidente. Au contraire, si rares à l’écran sont les hommes fragiles et victimes. Leur témoignage est ici bouleversant.

8/10Voir plus

Dernière modification il y a 5 ans


marylou_allenspach

il y a 5 ans

François Ozon procède par touches qui viennent s'additionner et entre en résonance l'une avec l'autre.


vincenzobino

il y a 5 ans

Délivre-nous du mâle

Alexandre a parfaitement réussi sa vie: brillant banquier, époux et père de famille, il garde néanmoins un profond traumatisme : enfant, lors d’un camp religieux scout, il fut victime d’un prêtre pédophile, le père Preynat. Lorsqu’il découvre que ce dernier officie toujours en présence d’enfants, il ose ouvrir son cœur et porte plainte. Il est rejoint par Emmanuel, traumatisé par son expérience, et François qui croyait avoir enfoui ce souvenir indélébile. Ensemble, ils vont créer l’association Parole Libre et entreprendre une action en justice contre l’Evêché lyonnais. Mais ce combat s’avère inégal.
Le voici donc ce si attendu procès cinématographique de pratiques scandaleuses dont le procès, sur le point de débuter rendra je l’espère de tout coeur justice et condamnera cet omerta. Ozon nous propose un bouleversant compte-rendu.
Il est impératif de savoir que j’ai été enfant de messe durant quatre ans sans avoir jamais eu la moindre mauvaise expérience. Et lorsque je lisais certains faits sur l’église et ce mot tabou alors de pédophilie, je n’arrivais pas à concevoir l’inconcevable. Depuis, après plusieurs faits sinistres révélés de par le monde, ma foi est certes restée intacte mais un blocage inexpliqué m’empêche de retourner dans une église et d’y observer un prêtre sans me poser cette question existentielle : est-il comme les prêtres tueurs d’enfants.
Cette parenthèse sur ma Foi s’avère indispensable pour communier avec la brillante reconstitution que Ozon nous offre: du notre Père dont l’avant-dernière phrase est le sous-titre parfait du film, à sa volonté, pour moi juste, de laisser le chrétien et l’athée face à son jugement sans chercher autre chose que l’information, le traitement est absolument brillant avec 3 acteurs éblouissants particulièrement le Cesarise Swann Arlaud bouleversant et que le mal dont souffre Emmanuel et que j’ai connu, est retranscrit avec une incroyable justesse.
Le travail de documentation est parfaitement établi avec cette justesse de garder trois noms fictifs mais les véritables identités des fautifs, et pas seulement ceux du point de vue religieux. La place parentale est également très forte, avec d’hallucinantes situations qui font réfléchir dans le cas de l’une des mères, sur le pourquoi de mettre un enfant au monde.
A recommander plus que vivement, d’autant qu’aucune image choc n’est montrée, contrairement à Sleepers dont le parallèle sur les enfants est pourtant très fort...Voir plus


Autres critiques de films

Sauvages

Riverboom

Feu Feu Feu

Naître Svetlana Staline