Jessica Forever France 2018 – 97min.

Critique du film

Couvre-toi de sang et sois heureux

Sven Papaux
Critique du film: Sven Papaux

Un film difficile à cerner, à la lisière de la science-fiction et tourné à la manière d’un film d’auteur contemplatif. Présenté à la Berlinale et au festival de Toronto, Jessica Forever est une introspection de la violence qui divisera le public à n’en pas douter.

Dans une époque où les orphelins sont nombreux, l’État utilise les grands moyens pour s’en débarrasser. Des enfants considérés comme des monstres, des repus de la société, des parias que Jessica recueille et protège. Ils forment dorénavant une famille, une armée, cherchant un endroit pour évoluer en paix, sans craindre pour leur vie continuellement.

Le calme plat, une baie vitrée se brise, Kevin (Eddy Suiveng) est lui-même brisé, un adolescent brisé par le monde qui l’a vu grandir. Une bande habillée en noir, armée jusqu’aux dents le relève et l’embarque. Un escadron mené par Jessica (Aomi Muyock), une mère, une cheffe, une déesse, une gourou pour des jeunes hommes délaissés par la société. Des âmes perdues qui sont les cibles de drones pilotés par un gouvernement invisible, qu’on ne verra jamais. Caroline Poggi et Jonathan Vinel s’intéressent avant tout à cette bande, abandonnant tout ce qui gravite autour de cette armée d’enfants perdus pour nous maintenir dans l’action.

« Couvre-toi de sang et sois heureux », entend-on. Violence intérieure, canalisée par la grâce et l’autorité de Jessica, regard bleu et hypnotique. Des personnes violentes appelées à devenir meilleures au contact de Jessica. Ambiance mystérieuse, où la population semble absente, bridée par un gouvernement invisible, dirigeant son peuple à coups de drones tueurs. Jessica Forever s’étend de manière contemplative, comme sa violence, son propos s’articule psychologiquement, tout en retenue. On ne sait pas vraiment où on atterrit, où les gens se cachent. On ne connaît pas les destins de chacun.

Le récit se focalise essentiellement sur Lucas (Augustin Raguenet) et Michael (Sebastian Urzendowsky), comme inséparables, comme des frères qui se complètent. Deux jeunes taiseux, mutiques. Jessica Forever se veut radical, drapé dans un mystère qui n’est jamais résolu, mais là n’est pas vraiment la question. Le récit met en exergue la violence de notre époque, la fatalité de notre société qui sombre toujours plus dans la violence pour faire régner l’ordre. Une véritable proposition de cinéma, avec ses failles et son cruel manque de rigueur. Une sarabande autour des balles et des coups, trop timide pour nous embarquer, trop pauvre dans sa mise en scène qui patine, trop approximative dans sa direction d’acteurs perfectible. Toujours est-il que Jessica Forever est audacieux, prenant par instants.

En bref !

Une œuvre qui plaît par sa proposition, par son atmosphère et son esthétique léchée. Mais l’immaturité, la platitude des dialogues et l’écriture très paresseuse font de Jessica Forever une œuvre inachevée. Un film qui aurait pu s’avérer incisif. Au milieu des défauts, le duo Poggi/Vinel laisse derrière lui une belle promesse d’avenir appelée à faire des vagues.

14.05.2019

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