Jungle Rouge France, Suisse 2020 – 85min.
Critique du film
Hommage aux camarades
Alors que le cinéma suisse est parfois critiqué pour son manque d’ambition, le documentaire en animation des réalisateurs genevois Juan José Lozano et Zoltan Horvath vient donner tort à ses détracteurs.
Premier mars 2008, au cœur de la jungle amazonienne entre la Colombie et l’Équateur, Raúl Reyes (Álvaro Bayona) est assassiné dans une opération militaire par l’armée colombienne, aidée des États-Unis. Il était alors à la tête des négociations pour les FARC, les Forces armées révolutionnaires de Colombie, une guérilla représentant le peuple pour certains, une organisation terroriste pour d’autres. Il laisse derrière lui une précieuse correspondance faite d’emails détaillant les activités de l’organisation ainsi que son quotidien précaire de 2003 et sa mort, période sur laquelle revient le documentaire.
Jungle rouge s’ouvre sur un véritable massacre dans un monde parallèle déboussolant. On découvre ainsi des formes humaines aux contours flous, qui ne se distinguent pas d’abord de la jungle étouffante, comme déjà absorbées par leur environnement. Peu utilisée dans les longs-métrages, la pixilation, ici accompagnée d’effets numériques incrustés sur fonds verts, offre des plans dont la beauté étrange décontenance et aurait pu éclipser le fond du documentaire. Seulement, les comédien·ne·s et réalisateurs profitent de cette forme singulière pour se distancer de la quête de toute vérité objective et plonger dans le cœur émotionnel de leur sujet.
Père, amant, mari, mais aussi syndicaliste, commandant et membre du secrétariat des FARC, autant de facettes du personnage de Raúl Reyes qu’embrasse ou au contraire rejette le film, pour finalement ne donner à voir que l’impact qu’ont eu les relations de cet homme sur les dernières années de sa vie. Aussi, la vie des otages dans les campements ou encore l’enlèvement d’Íngrid Betancourt ne sont jamais explorés au-delà des discussions d’échange de prisonniers. C’est là l’un des angles morts du documentaire, car l’appréciation de son contenu reste peu accessible pour qui ne connaît pas déjà l’origine et l’évolution de l’organisation des FARC-EP.
Le parti pris le plus audacieux du film est, sans conteste, de nous faire entrer en empathie avec cette figure du mouvement anti-impérialiste, tant admirée que combattue, et d’illustrer sa psyché avec de superbes séquences en animation 2D. Avec un serpent comme leitmotiv, les rêveries de Raúl Reyes brisent parfois le ton du film à l’occasion d’une chevauchée victorieuse avec Karl Marx. Les personnages secondaires, autrement distants et peu développés, trouvent aussi dans ces fantasmes de mort une profondeur inattendue. La déliquescence d’une utopie communiste en prise avec ses contradictions reste encore le thème le plus pertinent de Jungle rouge. Il résonne pleinement avec les débats militants actuels quant à l’usage des armes, de la violence physique pour contrer la violence systémique, ou encore l’autocritique, nécessaire afin de ne pas reproduire les schémas de domination pourtant combattus.
Si une certaine distance critique avec le sujet aurait renforcé le sens de cette démarche intimiste, le motif de la jungle-tombeau rougie du sang des idéalistes hante les esprits d’une intensité commune aux grandes œuvres.
Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.
Login & Enregistrement