Les leçons persanes Biélorussie, Allemagne, Russie, fédération de 2020 – 128min.

Critique du film

Un mensonge à double tranchant

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Voilà le récit singulier d’un déporté juif qui invente une langue pour survivre aux horreurs de la guerre. Un film où se mêlent tragicomique et thriller. Le réalisateur ukrainien Vadim Perelman signe un film percutant.

En 1942, Gilles (Nahuel Pérez Biscayart), alors en route pour la Suisse pour fuir la France Occupée, est arrêté puis déporté dans un camp en l’Allemagne, mais il jure aux soldats qu’il n’est pas juif, mais persan. Une étrange coïncidence alors que Klaus Koch (Lars Eidinger), un officier SS du camp, souhaite justement apprendre sa langue : le farsi. Pris au piège de son mensonge, Gilles n’a d’autre choix que d’inventer une langue pour lui enseigner.

Tandis que ses camarades se font sommairement fusiller, Gilles s’effondre avant les salves des balles et hurle qu’il n’est pas juif. La preuve est planquée dans son manteau, une édition du livre Les Mythes de la Perse qu’il vient d’échanger à un Afghan contre un morceau de son sandwich. Une aubaine pour ce cuisinier nazi qui rêve de retrouver son frère et d’ouvrir un restaurant à Téhéran après la guerre. Ainsi l’officier SS recueille son professeur particulier de farsi dans les cuisines du camp. Un refuge à double tranchant pour le jeune déporté, et, bientôt pris dans les mailles de son mensonge, Gilles, fils de rabbin, devenu Reza, développe un code parmi les lignes des registres du camp pour inventer, et surtout retenir à la volée, les mots de ce farsi venu d’ailleurs.

«Père», «mère», «pain», «arbre», «vérité»… Les listes de vocabulaires s’enchaînent comme autant de balivernes, et dans ce bureau, si prodigieusement mis en image par Vladislav Opelyants (Leto), le camp prend des airs de cabinet particulier pour accoucher de ces leçons dérisoires. Jusqu’au jour où les masques tombent, inéluctablement. Porté par les subtiles interprétations de Nahuel Pérez Biscayart (aussi bouleversant qu’inarrêtable depuis 120 battements par minute) et Lars Eidinger (acteur adoubé pour ses performances au cinéma comme au sein de la Schaubühne de Berlin), le poids du mensonge vous hante et vous enchante. Dans «Les leçons persanes», tout est à la fois prévisible et si minutieusement construit.

Deux âmes fragiles empêtrées dans une machine abominable régie par les cols glauques ; si «Les leçons persanes» bouleverse, c’est aussi de rendre la condition de ces deux êtres qui ne cherchent qu’à se soustraire à la guerre. Le mensonge devenant leur échappatoire, leur véhicule. La vérité coûterait un rêve à l’un, à l’autre la vie. Le cinéaste ukrainien s’inspire de l'œuvre de théâtre radiophonique du grand scénariste allemand Wolfgang Kohlhaase intitulé «Erfindung einer Sprache» («Création d'une langue»), et dévoile un mensonge labyrinthique enchevêtré au grand cycle de la Deuxième Guerre mondiale et sa satire. Jusque dans leurs derniers instants, les deux acteurs nous cueillent et Vadim Perelman nous lâche à la libération dans ce qui s’impose comme un très beau moment de cinéma au milieu d'un genre parfois éculé. Quelle surprise !

21.01.2022

4

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