CH.FILM

Loving Highsmith Allemagne, Suisse 2021 – 83min.

Critique du film

La vie rêvée de Patricia Highsmith

Critique du film: Kevin Pereira

À travers un beau documentaire sur Patricia Highsmith, cette écrivaine texane notamment à l’origine de L’Inconnu du Nord-Express, la réalisatrice bâloise, Eva Vitija, déroule un récit précieux sur la solitude et le rejet.

Le fait est que, disons-le, Patricia Highsmith naît au mauvais endroit, au Texas, état extrêmement conservateur, qui plus est dans un environnement familial dysfonctionnel, incapable de lui transmette la douceur dont l’enfant a sans doute besoin pour s’épanouir. Vivant les six premières années de sa vie avec ses grands-parents dans le ranch familial, elle ne connaît sa mère que lorsque celle-ci l’amène vivre avec elle, à New-York. Malgré ce changement d’espace, le milieu reste en réalité identique : sa mère, pas plus ouverte ou progressiste que ses grands-parents, exige d’elle qu’elle se comporte « en fille », ne supportant aucunement son homosexualité. « Si tu m’aimes à ce point, habille-toi comme une femme. Arrête de porter ces pantalons », vocifère-t-elle.

Patricia veut être aimée de sa mère, elle le désire plus que tout, quitte à se convaincre, mieux, s’auto-persuader, que le mariage est un horizon désirable. Débute alors l’enfer : la jeune fille se force à coucher avec des hommes, débute une psychanalyse avec le souhait de rentrer dans « la normalité », et accepte de se rendre à des rendez-vous avec des prétendants sciemment choisis par sa mère. La vie rêvée s’échappe, rendant toujours plus insupportable la vie vécue. Écrire devient alors indispensable : beaucoup plus que thérapeutique, l’écriture représentera dès lors le lieu même du Salut.

Malgré le succès débordant de son premier roman, L’Inconnu du Nord-Express, publié en 1950 et adapté au cinéma l’année suivante par Alfred Hitchcock, c’est avec sa deuxième œuvre, Carol, que l’écrivaine accomplit la vie dont elle rêvait secrètement, celle des relations libres et sincères, passionnelles, sereines. Mais que l’on ne s’y trompe pas : si Carol, texte qui a également fait l’objet, en 2015, d’une belle adaptation au cinéma, se donne comme le reflet de la vie intérieure de son auteure, le reste de son œuvre demeure beaucoup plus évasif sur ce que ressent Patricia Highsmith. Ainsi, les carnets intimes retrouvés dans sa maison tessinoise, dans laquelle elle a passé les dernières années de sa vie, apparaissent pour la cinéaste comme un matériau riche et précieux dans l’élaboration d’un projet ambitieux, qui travaille à la réhabilitation d’une vie blessée « La plus douloureuse sensation qui existe est celle de sa propre faiblesse », peut-on notamment y lire.

On a peut-être que trop peu insisté jusqu’alors sur l’élégance avec laquelle la cinéaste décrit le geste d’écriture, posé à la fois comme libérateur et liberticide. Libérateur, car, on l’a dit, écrire, pour Patricia Highsmith, c’était vivre, lutter contre des injonctions normatives et des conventions sociales qui l’étouffaient. Liberticide, aussi, lorsque l’écriture ne pouvait plus déferler sans alcool. Se dessine ainsi au fil des plans, au gré d’un montage érudit, oscillant entre symbolisme et pragmatisme, un portait de femme complexe, dont la désinvolture tranche parfois avec une profonde solitude.

05.09.2022

3.5

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