Le Mal n'existe pas Japon 2023 – 106min.

Critique du film

Le minimalisme japonais au service d’images splendides

Michael Gasch
Critique du film: Michael Gasch

Fable écologique récompensée du Grand Prix du Jury à la dernière Mostra de Venise, si «Le Mal n'existe pas» joue des outils des œuvres contemplatives, sa morale n’en est que plus retentissante.

Hana (Ryô Nishikawa), une petite fille, vit avec son père dans la campagne japonaise. Leur quotidien est paisible, jusqu’à ce qu'une entreprise de Tokyo décide de réaliser des constructions à proximité de leur village pour un projet de «glamping». Les habitants craignent alors une grave atteinte à leur environnement qui bouleverserait l'harmonie qu’ils entretiennent avec la nature.

De «Jeanne Dielman» (1975) à «Pacifiction» (2022), le cinéma contemplatif n’est pas une nouveauté dans l’histoire du cinéma. À l'inverse d’une expérience de blockbusters, face à un film qui prend le temps d’observer, notre esprit peut se détendre sans être constamment sollicité par un spectacle démesuré. Oscar du meilleur film international pour «Drive My Car», le cinéaste japonais Ryûsuke Hamaguchi utilise ici tous les ressorts de ces narrations épurées : les plans sur des étendues boisées s’étirent pendant plusieurs minutes et il y a peu de coupes au montage. Les instruments à cordes, associée à la mise en scène naturaliste, renforcent cet effet de lenteur.

Le récit, pour sa part, se déroule à un rythme similaire, tout au long du conflit naissant entre les locaux et l’entreprise avide de profit. La morale, cependant, n’est ni manichéenne ni trop didactique, et il serait, de fait, injuste de réduire «Le Mal n'existe pas» à un affrontement entre riches et pauvres.

En effet, les personnages captés par la caméra de Ryūsuke Hamaguchi sont bien trop complexes pour de tels raccourcis. Les habitants du village, par exemple, ont beaucoup à raconter sur la sagesse humaine et la quête du bonheur. Ainsi, de ses moyens minimalistes, Hamaguchi parvient à tirer des séquences sublimes. «Le Mal n'existe pas» est alors une ode à la simplicité de la vie et un appel à ouvrir les yeux sur la beauté de la nature.

(Critique de Michael Gasch depuis la Mostra 2023, traduite par Eleo Billet)

16.04.2024

4

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Commentaires

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CineFiliK

il y a 6 mois

“Et au milieu coule une rivière”

Takumi vit sobrement avec sa fille Hana à l’orée d’une forêt. Mais la sérénité des lieux pourrait être remise en question par l’ébauche d’un camping glamour.

Au commencement était la musique. L’inspiration s’avère mutuelle entre le Japonais et la compositrice Eiko Ishibashi qui précédemment collaborèrent sur Drive my car. Se contenter d’évoquer la mise en images d’une mélopée lente serait réducteur, Hamaguchi n’hésitant aucunement à imposer des ruptures de ton pour laisser s’exprimer ses personnages et éviter l’émotion facilitée que susciterait cet air inquiet.

Takumi est l’homme des bois, plutôt mutique et connaisseur. De l’autre côté se tiennent les rats de Tokyo missionnés pour amadouer les consciences villageoises. L’opposition semble trop évidente. L’urbain contre la campagne, la civilisation confrontée au sauvage, le bruit opposé au silence, l’automobile écrasant la marche, les gratte-ciel remplaçant les troncs pour une question d’argent. Et au milieu coule une rivière, infranchissable. Car le débat porte sur la nappe phréatique mise en danger par la future fosse septique du campement chic. Pourtant les caractères se diluent, le réalisateur permettant aux représentants désinvestis du projet touristique de gagner en profondeur. Le temps d’un trajet en voiture, le couple associé concède la solitude, les doutes et rares espoirs de changement. L’on imagine même que couper une bûche, ramasser du wasabi sauvage ou savourer des nouilles udon cuites à l’eau de source révéleront en eux le plaisir des choses simples. Un rapprochement amusant et rassurant s’opère entre l’orange des villes et le bleu des forêts.

Mais l’allée des grands arbres filmés en contre-plongée lors du prologue semble aussi protectrice que menaçante. Au loin hurlent les fusils qui font saigner les ronces. Si le mal n’existe pas, laissant aux parties leurs raisons propres, un équilibre brisé par la compromission marque le début de la fin. L’air devient subitement grave et la fable funeste. Il était une fois la fillette oubliée qui n’a pas attendu. Dryade disparue, chevreuil blessé et nature vengeresse désavouent une humanité à bout de souffle.

(8/10)Voir plus

Dernière modification il y a 6 mois


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