Memory Mexique, Royaume-Uni, Etats-Unis 2023 – 104min.

Critique du film

La douleur des souvenirs

Maria Engler
Critique du film: Maria Engler

Avec son nouveau long métrage, le réalisateur mexicain Michel Franco séduit le public. Porté par une extraordinaire distribution, «Memory» présente une histoire complexe et chargée d’émotion.

Sylvia (Jessica Chastain), mère célibataire qui peine à joindre les deux bouts, fait face à des problèmes de santé mentale. Lors d'une réunion d'anciens élèves, elle rencontre Saul (Peter Sarsgaard), atteint de démence. Dans un accès de confusion, ce dernier la suit jusque chez elle. Agressée du temps du lycée, Sylvia pense reconnaître en lui l’un de ses bourreaux, mais lui ne se souvient de rien. Si les conditions ne semblent pas les plus adaptées, ces deux âmes esseulées finissent pourtant par se rapprocher.

Le titre le clame clairement, «Memory» explore, à travers deux protagonistes profondément marqués par leurs expériences respectives, le thème de la mémoire. Prisonnier de la perte progressive de ses souvenirs et de son identité, l’avenir de Saul s’annonce sombre. De son côté, Sylvia vit dans une peur constante, attisée par ses traumatismes passés. Et lorsque les souvenirs de ses abus sont remis en question, l’interrogation soulevée sur la fiabilité de la mémoire est particulièrement intrigante.

Avec Brio, le réalisateur et scénariste Michel Franco tisse le destin de deux personnages que tout oppose et construit une fable complexe sur l’humanité, la famille, l’espoir. Au cœur de cette détresse palpable, une romance éclot en toute simplicité, pleine de tendresse et magnifiquement contée. Lueur d’espoir dans l’obscurité de leurs existences, les personnages s’y accrochent désespérément, malgré la maladie de Saul.

Si les protagonistes se confrontent à nombre de difficultés, le long métrage ne se fait jamais désespéré pour autant. Doucement, il captive et émeut grâce au talent d’écriture de Michael Franco. Admirablement, il creuse ses personnages et ajuste la complexité de leur relation. Au premier plan, Jessica Chastain et Peter Sarsgaard offrent des performances remarquables, tout en subtilité et en émotion. Peu de films peuvent se venter d’attiser avec autant de passion l’empathie du public, qui, pleinement investi, se surprendra régulièrement à souhaiter de tout son être une fin heureuse.

(ZFF 2023, adapté de l'allemand)

29.05.2024

4.5

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Commentaires

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CineFiliK

il y a 4 mois

“N’oublie jamais”

Approchée par un homme lors d’une réunion d’anciens camarades, Sylvia quitte la soirée précipitamment, sans un mot. Il la suit jusqu’à chez elle. Angoissée, la femme s’enferme à double tour. Le lendemain, elle le retrouve devant sa porte, transi de froid, et croit l’avoir reconnu.
Elle, assistante sociale dans un foyer pour adulte, tente de trouver un équilibre dans sa vie après des années d’alcoolisme. Des souvenirs amers la rongent de l’intérieur. Lui est atteint de démence précoce et oublie trop vite. Sylvia et Saul, elle et lui. Deux cabossés qui se rapprochent, s’entrechoquent et se raccrochent.
Il règne une intranquillité dans cette histoire percée d’opacité. La rencontre entre les deux personnages crée une tension, la réalisation parvenant subtilement à dissimuler le traqueur silencieux derrière un pilier ou dans le flou de l’image. Serait-ce un fantôme surgi d’un passé que Sylvia va devoir affronter ? Puis un renversement s’opère faisant de la proie prévisible une potentielle vengeresse. Avec ses problèmes de mémoire, Saul s’égare vite au risque de ne plus savoir où il est et ce qu’il fait. En deviendrait-il dangereux ? Autour d’eux gravitent de nombreux visages que l’on identifie peu à peu. Fille, frère, sœur, nièce font preuve de bienveillance de prime abord. Mais le poids lourd du secret enferme une famille dans l’ambivalence et le non-dit. Ce sont encore les enfants qui donneront la leçon aux parents. Une fois l’éclat de la vérité, la tension ne redescend guère et il suffit d’une mauvaise porte à ouvrir pour que le pire des malentendus puisse advenir. Sans en montrer davantage, à coups d’ellipses, l’attention du spectateur ne baisse pas.
Le malaise ambiant créé avec méthode par Michel Franco désamorce le pathos du mélodrame, malgré les larmes qui coulent sur les joues de Sylvia et du Saul pleureur. Incarnés par Jessica Chastain et Peter Sarsgaard, tous deux se rassemblent dans une baignoire qui lave et réchauffe. Lors de leur première étreinte charnelle, le visage de l’actrice parvient à exprimer à la fois l’excitation du moment et la terrible angoisse que son personnage peut ressentir entre les bras d’un homme. Scène magnifique. Et quand résonne une dernière fois le slow A Whiter Shade of Pale, c’est notre cœur qui se serre

(7/10)Voir plus

Dernière modification il y a 4 mois


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