Black Tea Côte d'Ivoire, France, Luxembourg, Taïwan 2024 – 111min.

Critique du film

Une infusion sans saveur d'Abderrahmane Sissako

Critique du film: Maxime Maynard

Presque dix ans après son long métrage «Timbuktu» et ses sept César, Abderrahmane Sissako revient avec le décevant «Black Tea».

Après avoir dit «non» le jour de son mariage, Aya (Nina Mélo) quitte sa Côte d'Ivoire natale pour s’installer à Guangzhou en Chine. Passionnée de thé, elle se fait engager dans un magasin spécialisé. Là, elle tombe sous le charme du propriétaire, Cai (Hang Chang), plus âgé.

Par sa filmographie, le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako s’est fait la voix du continent africain et retrouve, dans son long métrage «Black Tea», l’un de ses sujets de prédilection : l’exil. Et c’est dans les rues de «Chocolate City», dans les quartiers de Yuexiu et Bayiun de la ville de Guangzhou en Chine, qu’il pose, cette fois-ci, sa caméra. C’est en effet ici que se trouve la plus grande diaspora africaine d’Asie : un décor parfait pour traiter des questions d’immigration et de racisme sur le territoire chinois. Malheureusement, «Black Tea» rate le coche et s’empêtre dans une volonté esthétisante de lyrisme.

En effet, la beauté des images et de la photographie d’Aymerick Pilarski ne peut faire oublier les dialogues forçant une certaine pseudo-poésie fréquemment incongrue. Au détour d’une conversation, des membres de la communauté content leurs histoires. Le concept est louable - le cinéaste cherche à montrer la diversité démographique du quartier et ainsi pointer du doigt l’humanité de chacun -, mais les récits personnels tombent régulièrement comme un cheveu sur la soupe. Et à la question «Quelle coupe de cheveux voulez-vous ?», un monsieur d’un certain âge répond, la larme à l’œil : «Je me souviens que mon père m’avait acheté une bicyclette», sans que cet aparté rocambolesque choque quiconque.

Le montage, plus que questionnable, n’aide aucunement à clarifier ces échanges. Découpages et redécoupages à outrance, scènes obsolètes sorties de nulle part : la compréhension de l’œuvre et de son message s’obscurcit à chaque minute. Un chaos cinématographique qui emporte tout sur son passage et laisse les deux protagonistes, et leur romance édulcorée, sur le carreau. Hang Chang et Nina Mélo auraient mérité mieux. Dans la peau d’Aya, l’actrice investit tout son être, mais ne peut rien contre le manque de profondeur de son personnage.

Joviale, aimante, les mots justes à la bouche et l’oreille attentive, Aya est adorée de tous et louée par chacun. Un tel modèle de perfection qu'elle en oublierait presque d’avoir un peu de personnalité. À trop la limiter à son rôle de confidente, le réalisateur finit par pour n’en brosser qu’un portrait terriblement superficiel : un comble pour un personnage principal. Et si la bande-annonce laissait sous-entendre une douce histoire d’amour mis à mal par les tourments liés au racisme et aux préjugés, le cinéaste Abderrahmane Sissako sert, à la place, un drame à moitié cuit de 110 minutes, loin, très loin, de remplir ses promesses.

(Berlinale 2024)

26.02.2024

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