Pas de vagues Belgique, France 2024 – 92min.

Critique du film

La guerre des mots

Critique du film: Laurine Chiarini

Lors d’un cours de français, Julien, jeune instituteur dans un collège de banlieue, illustre une figure de rhétorique par un exemple. Interprétés d’une manière complètement différente par les élèves, ses mots vont être l’étincelle déclencheuse d’une spirale de plus en plus violente contre l’enseignant.

Fraîchement nommé, Julien (François Civil) a l’énergie du nouvel arrivant. Encore optimiste, il croit fermement pouvoir faire une différence dans la vie de ses élèves, comme un prof l’avait fait jadis pour lui. Bientôt, les mots d’un poème de Ronsard, passage obligé pour tout écolier de l’Hexagone, vont se transformer en bombe à retardement. Pour expliquer ce qu’est un astéisme, figure de style qui consiste à complimenter une personne en faisant mine de la critiquer, il s’adresse à une élève. Ce n’est qu’un exemple, précise-t-il, or les railleries fusent, les esprits s’agitent. Bientôt un scandale éclate.

Dissection au scalpel d’une époque individualiste où chaque citoyen veut se faire lui-même justice, et tout de suite, le film constitue ce qu’un juge pourrait qualifier de malheureux enchaînements d’erreurs humaines. Une méprise, cela se corrige. Ici, c’est d’une impossible rencontre qu’il s’agit, une incompréhension permanente qui devient la base des échanges. Face à une classe d’adolescents à fleur de peau prêts à chambrer toute figure d’autorité à la première opportunité, le moindre échange devient risqué. Pour une poignée de mots incompris, la rumeur enfle contre Julien, qui se retrouve au milieu d’une véritable cabale.

Dépassant largement les murs du préau, la fracture s’accentue quand racisme, lâcheté, homophobie et décrochage à tous les étages ne font que révéler une société dont tous les membres semblent avoir démissionné. La tête haute, Julien veut y croire : tentant de garder le cap dans la tempête, il s’accroche à sa vocation. Alors que la peur étouffe de plus en plus ses journées, la caméra, implacable, semble suivre la courbe descendante des états d’âme du jeune homme en resserrant lentement le cadre sur son visage. Si les films se déroulant en milieu scolaire ne manquent pas, «Pas de vagues» se distingue en prenant un malentendu entre élèves et professeur comme point de départ d’une spirale impitoyable dans lequel chacun et chacune a une part de responsabilité.

Teddy Lussi-Modeste, le réalisateur, est également enseignant. Familier de la dynamique à l’intérieur d’une classe, il a lui-même vécu une situation telle que celle de Julien, où des mots, un geste a priori inoffensif ont été mécompris, lui faisant craindre pour son intégrité physique et celle de son entourage. Instantané acéré d’une époque et de ses symptômes, ce film étaie avec brio une réalité que nous devrions tous regarder en face.

15.05.2024

4

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Commentaires

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Kino

il y a 4 mois

Excellent thriller. L'action démarre tout de suite et la tension ne baisse pas d'un cran tout au long du film. Le scénario tracé au cordeau est au service d'une histoire glaçante, celle d'une accusation injuste qui se referme sur un prof des écoles quoiqu'il fasse, tel du sable mouvant. A recommander, 4/5Voir plus


CineFiliK

il y a 4 mois

“Un métier dangereux”

Professeur débutant dans un collège en banlieue, Julien espère créer du lien avec ses élèves. Mais quand la réservée Leslie dénonce un comportement tendancieux de sa part, ses aspirations et sa personne sont remises en cause.

L’astéisme ou l’art de complimenter l’autre en le blâmant. Sur l’analyse de la rose poétique de Ronsard, maître Julien s’y essaie et fait rougir une mignonne parmi son public. De quoi déclencher l’ironie bruyante de ses camarades sur les premières notes hivernales de Vivaldi. Pas de vagues lui fait comprendre le proviseur, alors que c’est une déferlante qui va s’abattre sur l’ambitieux qui rêvait juste de changer la vie de celles et ceux censés l’écouter.

Il y a peu, Thomas Lilti considérait l’enseignement comme un métier sérieux. Le qualifier de « dangereux » serait ici recevable. Adapté d’une mésaventure vécue par le réalisateur lui-même, le film conte la chute d’un idéaliste impliqué et maladroit qui s’écrase sur les murs dressés par l’administration, la police, les élèves et leurs parents. La classe devient une masse broyant toute autorité par ignorance ou provocation. Seul face au groupe, déconsidéré, humilié et menacé de mort, l’instituteur se raccroche à l’intime pour ne pas sombrer. Un choix que n’avait pas fait l’efficace film allemand La salle des profs qui, sur un sujet différent mais proche, cloisonnait son héroïne entre les murs de l’école, maintenant la confrontation dans ce cadre donné. Chez Lussi-Modeste, les séquences exposant la vie privée de Julien se multiplient et diluent l’intensité.

Dans une mise en scène parfois tapageuse, le réalisateur fait de son alter-ego une sorte de martyre qu’il sanctifierait presque quand il donne la leçon à ses supérieurs ou collègues. Dans le rôle, François Civil s’en sort avec mention, tout comme les jeunes comédiens qui l’entourent. Malgré leur investissement, ce n’est pas avec ce film que l’Éducation nationale parviendra à convaincre de nouvelles recrues prêtes à se sacrifier pour réarmer l’institution scolaire.

(6/10)
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Cinephile

il y a 5 mois

Excellent film de grande actualité. A voir absolument


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