Une famille France 2024 – 82min.

Critique du film

Briser le silence par effraction

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Elle ne s’en est jamais cachée, c’est l’histoire de sa vie, de son œuvre. Caméra au point, Christine Angot tente de dénouer le silence familial autour de l’inceste dont elle fut la victime.

«L’inceste». Sans ronds de jambe, le mot sera prononcé au bout de quelques secondes. «Une famille» parle des viols perpétrés par le père de Christine Angot de ses 13 à 16 ans. Vilipendée pour ses livres, moquée sur les plateaux de télévision (dont «Salut Les Terriens» dans un passage resté célèbre), la dramaturge empoigne aujourd’hui une caméra pour reprendre le contrôle de son histoire et ainsi élucider le déni et le mépris familial.

Plus de 20 ans après la parution de «L'inceste» en 1999, Christine Angot, alors invitée à un salon à Strasbourg pour la promotion de «Le Voyage dans l'Est» (prix Medicis en 2021), rend visite à l’épouse de son père, aujourd’hui décédé. Elle sonne d’une main tremblante, la porte reste close. Or l’écrivaine (accompagnée de la caméra bienveillante de Caroline Champetier) s’introduit, presque par effraction, chez sa belle-mère octogénaire, pour enfin confronter celle qui a toujours refusé de reconnaître les crimes de son défunt mari. Un échange d’une violence et d'une surdité stupéfiante. Ainsi s'entame «Une famille» et Christine Angot capte aussi l'impact indélébile des horreurs subies sur son environement. Bientôt viendront les témoignages compliqués de sa mère, de son ex-conjoint, et les paroles émouvantes de sa propre fille.

Sa photo sera montrée une fois. «C’est lui !» nous explique Christine Angot d’une voix sèche. Hors compétition à la Berlinale, le documentaire fait nécessairement écho à l’œuvre de l’écrivaine, mais aussi au livre «La Familia grande» de Camille Kouchner qui révélait en 2021 que son frère jumeau avait été victime d’un inceste perpétré par l’ex-député Olivier Duhamel. Dans un format comme un collage, capté sur le vif et assorti de nombreuses archives personnelles, elle retrace un passé occulte. «Une famille» est de ces œuvres vulnérables et bouillantes. Un documentaire composé comme une prise de parole chevrotante, mais à gorge déployée, pour briser un mutisme mortifère, sordide et bourgeois. «Une famille» se fait aussi le témoin des mécanismes du silence et d’une société peut être enfin devenue réceptive.

(Berlinale 2024)

22.03.2024

3.5

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