Un triomphe France 2020 – 107min.
Critique du film
Beckett au parloir
Sélectionné au Festival de Cannes 2020 et Prix de la meilleure comédie de l'année lors de la 33e cérémonie des prix du cinéma européen, «Un triomphe» est à la fois une comédie feel-good et une lettre amoureuse écrite en hommage à l’art théâtral. Kad Merad y incarne un metteur en scène qui tentera de faire jouer Beckett à cinq détenus.
Cela fait trois ans qu’Etienne (Kad Merad) n’a pas vu les planches d’un théâtre. Le comédien subsiste entre des formations au «Haka» en entreprise et autres bagatelles alimentaires. Alors faute de mieux, il ne peut se permettre de refuser l’atelier de théâtre du centre pénitentiaire de Lyon. Cela devait ne durer que quelques jours. Ils sont cinq à purger leur peine, Patrick (David Ayala), Alex (Lamine Cissokho), Dylan (Pierre Lottin), Moussa (Wabinlé Nabié) et Nabil (Saïd Benchnafa), fatigués d’éplucher et d’écorcher sans flamme les vers de La Fontaine. Alors pour les réveiller, Etienne propose de leur faire jouer «En attendant Godot». Et bientôt la troupe part en tournée.
Formé au théâtre à Angers puis à l’ENSATT (École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre), Emmanuel Courcol a joué pour la télévision et le cinéma. Scénariste aussi, il écrivait «Welcome» (2010) qui lui vaudra une nomination au César du meilleur scénario original. Puis il devient cinéaste en 2016 avec une projection remarquée de son film Cessez-le-feu au prestigieux Festival du film de Locarno, un métrage à l’orée des horreurs de la Première Guerre mondiale avec Romain Duris. Et voilà que l’Angevin s’en prend au théâtre, celui-là même qui l’a sorti, jadis, de sa fac de droit. Alors le triomphe est un peu le sien.
À Kad Merad d’incarner son amour pour les planches, l’acteur en incarne un autre : père, divorcé, la gueule moribonde et à l’art déchu. Fini le maillot des All Blacks pour enseigner l’art de vociférer très fort et de l’éveil corporel, un ami directeur de théâtre lui parle d’une place à prendre au pénitencier. Un peu comme Gabin dans L’air de Paris, Etienne fait la rencontre mouvementée de ces cinq détenus, ses nouveaux poulains et bientôt il ne vit plus que pour eux. Nous reconnaîtrons Pierre Lottin (figure des Tuches) dans la peau de l’illettré et percutant Jordan, David Ayala incarne un délicieux Patrick à la voix d’ogre de fable, Wabinlé Nabié prête ses répliques à un noble Moussa et Saïd Benchnafa, furtif en Nabil, ne manquera pas de vous accrocher avant de laisser sa place à l'impressionnant Sofian Khammes dans la peau de l’autoproclamé «Kamel» Beckett.
Moins un hommage au théâtre qu’à sa force libératrice, cette histoire empruntée, ou «librement inspirée» comme ils disent, permet de livrer une comédie bienveillante et portée par une troupe étonnamment pudique, touchante, stellaire même… Moins convaincant du côté Merad, surtout quand l’acteur s’épanche sur un existentialisme pénible face à sa fille ou en confidence face au public de l’Odéon en tomber de rideau, il reste qu’Un triomphe est un long-métrage pensé pour ses acteurs, eux qui purgent leur peine et s’écroulent d’attendre leur Godot au parloir.
Voilà qui présageait du meilleur, et si le film s’écroule, c’est ailleurs, juste avant de quitter la salle. Une citation sur l’évasion des prisonniers, de Beckett lui-même: «C’est la plus belle chose qui puisse arriver à ma pièce». S’ensuivent quelques clichés pour authentifier l’histoire de Jan Jönson, metteur en scène suédois, qui en 1985 montait Godot dans les entrailles de la prison de Kumla, avant de triompher à Göteborg. Et il faudra voir les gueules éblouissantes, et très Trainspotting, des caïds nordiques pour comprendre qu’Un triomphe vient d’échapper à sa véritable histoire. Envoyés aux galères beckettiennes, Pierre Lottin y trouve pourtant un rôle merveilleux et vous cueille de ne savoir penser dans le corps de l’impossible Lucky. Au diapason de ses camarades, Wabinlé Nabié, David Ayala, Saïd Benchnafa, Lamine Cissokho et Sofian Khammes, tous s’illuminent à la lecture des mots du dramaturge irlandais.
Alors, le film ne manque pas d’un certain éclat et effleure même l’insondable question de la rédemption, c’est la juge qui en parle le mieux: «On ne va quand même pas en faire des héros, je pense aux victimes!». Or la véritable et passionnante aventure théâtrale de Jan Jönson est racontée par un autre, qui lui-même se l’est appropriée pour en tirer une fable bien de chez lui. Alors sacrons ce trésor de l'absurde, cette pièce inépuisable, et les acteurs d’hier et d’aujourd’hui.
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Commentaires
En attendant Etienne
2016: Etienne, metteur en scène et acteur théâtral sans contrat, est recruté pour un atelier de théâtre dans un pénitencier. Ses participants ayant un lourd passé et un casier judiciaire pas vraiment vierge sont invités à interpréter « en attendant Godot ». Une véritable attente pour certains.
La voici donc cette adaptation d’un fait divers scandinave ayant beaucoup fait parler de lui. Le fait de retranscrire ce périple en sol français était un pari gonflé : il est fort bien tenu.
La première demi-heure ne nous pousse pourtant guère à l’optimisme avec le bilan de vie d’Etienne et cette opportunité de rachat, ainsi qu’une apparente invraisemblance judiciaire. Emmanuel Courcol s’en contrefiche littéralement : le réalisateur nous offre une très belle leçon de vie et de rachat, et le choix du texte, véritable dans la réalité suédoise, est du pain béni pour mettre les failles du chef-d’œuvre de Beckett en avant, dont l’envie de fuite et d’évasion. Une envie que le spectateur éprouve autant que ses participants. En attendant une nouvelle chance.
Très beau projet à recommander… Voir plus
Dernière modification il y a 3 ans
“L’heure de la sortie”
Intermittent du spectacle sans contrats assurés, Étienne accepte d’animer un atelier théâtre dans une prison. Impressionné par le potentiel de ses cinq « élèves », il leur propose d’aller plus loin en jouant du Samuel Beckett.
Leur vie derrière les barreaux c’est attendre. Attendre le repas servi, l’heure de la sortie quotidienne, la visite au parloir, la fin de leur peine. Et si Étienne était enfin l’homme providentiel, le Godot capable de changer leur présent, leur avenir.
Le scénario semble cousu de fil blanc, soutenu par son titre triomphant et divulgâcheur. Grâce à l’art de la scène, les loups s’efforceront de devenir agneaux afin de gagner la rédemption. En préférant taire leurs exactions, le réalisateur rend ces détenus sympathiques, voire héroïques. Si le film remplit en partie une grille archétypique, il prend plus de valeur grâce à ses jeunes acteurs dits débutants. « Ils jouent faux, mais sont dans le vrai » et impressionnent par leur naturel. Leurs partenaires de la Comédie-Française peuvent être fiers. Quant aux mots de l’auteur irlandais, ils font écho aux situations vécues entre ces murs : violence, humiliation, absurde, espoirs déchus. Enfin, le grand final déstabilise. Incroyable, il discrédite l’ensemble de la troupe au risque de décevoir. Une ombre passe avant que ne s’éteignent les projecteurs. Quand un carton confirme la véracité de cette histoire, c’est la preuve encore que la réalité dépassera toujours la fiction. Une issue grave et saugrenue qui aurait ravi Beckett lui-même.
(6.5/10)… Voir plus
Dernière modification il y a 3 ans
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