Kritik31. Januar 2024 Cineman Redaktion
Critique de «La Sirène», la fuite en avant comme acte de résistance
Exilée à Paris depuis 1984, la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi traite dans son nouveau film du siège d’Abadan, un épisode clé de la guerre Iran-Irak (1980-1988).
(Une critique de Kevin Pereira)
Omid est un adolescent iranien, du sud de l’Iran, d’Abadan exactement, ville où les habitants entrent en résistance pour empêcher le siège des Irakiens entre novembre 1980 et septembre 1981. Tout juste âgé de 14 ans, Omid est confronté à un dilemme : rester avec son grand-père à Abadan et attendre son frère ainé parti au front ou fuir avec sa mère et ses plus jeunes sœurs ? Décidé, d’abord, à retrouver son frère, Omid finit par choisir la fuite avec ceux qu’il aime. Mais à quel prix ?
À son meilleur, «La Sirène» évoque le tout à la fois précieux et éblouissant «Valse avec Bachir», film avec lequel il partage un même processus de lutte : conjurer, par l’animation, l’effacement d’une mémoire, menacée de disparaitre, ou de basculer intégralement dans l’amnésie historique. Mais là où Ari Folman parvenait à tenir à distance la question du réalisme en lui préférant une mise en scène purement cauchemardée, Sepideh Farsi opte quant à elle pour un trait moins évocateur, beaucoup plus ostensible, qui alourdit très souvent la dimension politique de son écriture.
Entièrement arrimé au point de vue de son personnage focal, Omid, le récit débute par une séquence introductive qui tient lieu d’une véritable scène primitive, pour reprendre une idée centrale de la psychanalyse, une image perçue au stade de l’enfance dont la puissance conditionne le regard porté sur le monde : un flashback, dont le montage, frénétique, est soigneusement calquée sur les variations de la bande sonore, remonte à l’enfance d’Omid, au souvenir traumatique d’un rituel familial de sacrifice animal. En plus de compter parmi les plus réussies du long-métrage, cette séquence, en une poignée de plans rapides, dit beaucoup de la caractérisation de son personnage : sans être sanguinaire, Omid est pourtant une créature de sang, tout à la fois enfant de la guerre et produit d’une masculinité sourde et aveugle.
La folie des hommes – car c’est bien de cela dont il s’agit – est visuellement restituée par un travail formel qui accumule les signes de leur bêtise : le ciel, souvent en arrière-plan, est sans cesse traversé par d’innombrables obus qui détruisent les maisons, déciment les familles et atrophient les corps (un chien est montré sautillant sur trois jambes, tandis qu’un proche d’Omid perd l’usage de sa jambe à la suite d’un bombardement). En plus d’être dépeinte dans sa dimension la plus invivable, Abadan est également saisie à travers un montage alterné qui en exacerbe la part mortifère : tout comme dans «Les Hirondelles de Kaboul», le découpage dispose des plans d’avant la guerre qui attestent d’une sorte de paradis perdu, ce temps où le bonheur arpentait les rues.
C’est peut-être à cet endroit que le film coince légèrement : conscient du sillon cinématographique dans lequel il s’inscrit, il peine à en renouveler l’iconographie traditionnelle. En résulte un long-métrage d’animation étrange qui donne à la fois l’impression d’être nécessaire par son propos et quasi-dispensable par sa mise en scène. Perfectible et certainement oubliable, «La Sirène» mérite néanmoins que l’on lui accorde un peu de temps. D’autant plus que l’urgence qu’il déplie sonne à nos oreilles comme un rappel : l’amnésie est un fléau de l’Histoire.
3/5 ★
Au cinéma le 31 janvier
Plus d'informations sur «La Sirène».
Bande-annonce de «La Sirène»
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