Kritik3. April 2023 Cineman Redaktion
Critique de «Je verrai toujours vos visages», récit polyphonique sur la justice restaurative
Pratique encore méconnue, la cinéaste Jeanne Herry consacre son nouveau film à la justice restaurative. Découvrez notre critique de «Je verrai toujours vos visages».
(Une critique de Laurine Chiarini)
Enfant, Jeanne Herry avait appris qu’une femme qu’elle croisait régulièrement dans la rue rendait visite à l’assassin de sa fille, en prison. Cela l’avait fortement impressionnée. Après avoir abordé le sujet de l’accouchement sous X et de l’adoption en 2018 avec «Pupille», la réalisatrice revient à un sujet de société : celui de la justice restaurative.
Pratique encore relativement méconnue introduite en France en 2014, le processus de justice restaurative offre aux victimes et aux condamnés un espace d’échange et de parole neutre et sécurisé. Le but ? Que tout le monde puisse revivre en société.
Le début commence fort, mais ce n’est qu’un jeu de rôle. Le plus compliqué, pour les apprentis «CPIP» bénévoles, l’acronyme de conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, consiste à remettre le silence au centre de la démarche d’écoute. Difficile en effet de ne pas interrompre, et plus encore de ne pas juger, les récits d’auteurs de violences face à un enjeu de taille : celui d’offrir un espace de réconciliation potentielle, neutre et sécurisé.
La procédure donne aux victimes comme aux condamnés la possibilité de s’exprimer. Se gardant bien d’établir un raccourci simpliste entre bons d’un côté et mauvais de l’autre, le récit offre aux notions de violence, de peur et de colère un espace élastique et nuancé dans lequel rien n’est jamais tranché. La démarche redonne un visage aux condamnés et fait reconnaître la souffrance des victimes, qui souvent perdure bien au-delà de la salle du tribunal, pour qu’au final, tout le monde puisse revivre en société.
La majorité des scènes se déroulent dans des endroits clos, non pas pour figurer l’enfermement, mais dictés par l’histoire. Utilisant de longs champs et contrechamps, des zooms et travellings très lents, la caméra se fait aussi feutrée que la qualité d’écoute des « CPIP », pour laisser toute leur place aux récits des différents protagonistes. Car c’est bien la parole qui est au centre des échanges, entrecoupée de silences, pour mener, dans le meilleur des cas, à la prise de conscience.
Les acteurs servent un récit polyphonique construit autour de la trajectoire de Chloé, victime de viol incestueux durant son enfance, et Judith, qui l’aide à gérer le retour dans sa ville de son agresseur. Adèle Exarchopoulos, Leïla Bekhti, Elodie Bouchez, Miou-Miou et Gilles Lellouche, certains dans des rôles secondaires, ne sont que quelques-uns des noms connus qui en côtoient d’autres au casting. D’une démarche longue, difficile et à l’issue jamais certaine naît l’espoir d’un début de réconciliation entre humains.
3,5/5 ★
Au cinéma le 5 avril.
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