Kritik22. Oktober 2020 Camille Vignes
Netflix: «Rebecca» - Les fantômes aux trousses
En 1940, Alfred Hitchcock recevait son seul Oscar du meilleur film grâce à «Rebecca», adapté du roman de Daphné du Maurier. S’approprier l’œuvre d’un monstre du cinéma tel qu’Hitchcock n’est pas une mince affaire et peut-être est-ce pour ça que Ben Wheatley l’a préféré aux plus fréquemment cités «Fenêtre sur cour», «Psychose» ou encore «La mort aux trousses». Mais l’enjeu d’offrir un nouveau regard à «Rebecca» ne peut s’arrêter à l’hommage et à la réappropriation. Évidemment, passer après Alfred Hitchcock alors que la société est infusée du mouvement «Me Too» demande à transformer radicalement le regard posé sur les personnages et à s’absoudre de l’œuvre cinématographique d’origine.
L’histoire de «Rebecca», tout cinéphile la connaît. Celle de cette jeune femme, dame de compagnie accompagnant une vieille veuve dans son périple européen, tombant sous le charme d’un riche héritier anglais, veuf également et qui finit par l’épouser envers et contre toute convention sociale. L’histoire de cette jeune femme, propulsée dans la demeure étrange et inquiétante de son époux, hantée par le souvenir de sa première épouse, qui croit envers et contre tout, que l’amour est plus fort que n’importe quel mal.
Revisité à sa manière par l’œil fantasmagorique de Guillermo del Toro dans «Crimson Peak» et rappelant indéniablement l’œuvre romantique (en son sens philosophique et sentimental) de Charlotte Brontë, «Jane Eyre», avec son manoir éteint, hanté par des souvenirs fantomatiques qu’une gouvernante glaciale ne cesse de ramener à la vie, «Rebecca» pourrait ne faire que reprendre cette histoire si connue de l’amour triomphant des épreuves, des amants maudits par une histoire passée, par des passions d’antan dévorantes et destructrices. Il pourrait ne faire que citer l’œuvre littéraire dont il s’inspire et tenter de passer derrière Alfred Hitckcock, sans trop se casser la figure.
Cette histoire bien ficelée, car maintes fois racontée...
Cependant, cette histoire bien ficelée, car maintes fois racontée, qui tient son spectateur en haleine tant il espère que triomphe l’amour des deux personnages principaux, ne réussit pas toujours à relever le défit. Et sa réalisation pèche parfois d’excès de lourdeur. Certes ses rouges et ses bleus envahissant l’écran embarquent le spectateur dans les désarrois fous de l’héroïne, mais reste en bouche comme un goût de déjà-vu, de too much quand, par exemple, la musique vient appuyer maladroitement le propos d’une scène.
Pourtant, dès le départ Ben Wheatley affirmait sa volonté de faire de son métrage une œuvre à part entière et non le pastiche d’un film vieux de près de quatre-vingts ans, de son roman d’origine, ou d’une tout autre production s’en approchant. Car dès le départ, le cinéaste prend le contre-pied du film d’Hitchcock. Se veut plus lumineux, plus dynamique. Et, croquée un peu bécasse dans les premières minutes, l’héroïne est un pied-nez au mythe féminin érigé par Hitchcock car de lui, elle n’hérite de rien si ce n’est de son carré blond.
Visuellement magnifique...
Visuellement magnifique, sa mise en scène ne relève certes pas de la même psychorigidité symbolique et que celle de son prédécesseur, mais n’en demeure, pas moins léchée et réfléchie. Aux paysages idylliques de la Riviera, Ben Wheatley préfère la plupart du temps des plans serrés, décalés, intimistes. Insufflant toute la chaleur qu’il peut à une histoire qui, trop vite, va se refroidir. Et s’il ne peut passer à côté un ou deux plans purement sublimes du littoral anglais, battu par les vents et les embruns marins, il réussit tout de même à contourner le piège et ne pas laisser errer sa caméra sur les steppes humides du nord pour les faire parler à sa place.
3,5/5 ★
Disponible dès maintenant sur Netflix.
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