Eisenberger Suisse 2018 – 94min.
Critique du film
Christian Eisenberger vu par Hercli Bundi
Artiste prolifique aux 45 000 œuvres d’art; à la fois génial et imperceptible, sorte d’artisan surdoué à l’excentricité manuelle, l’enfant de Graz en Autriche s’est découpé, peint, taillé, scié, percé, cramé, bref taillé une sacrée réputation dans le monde de l’art. L’ancien élève de Brigitte Kowanz est devenu une figure emblématique fascinante. Artiste labellisé, encadré, exposé, collectionné, ici dans un portrait sans anicroche face à la caméra du réalisateur suisse Hercli Bundi.
Reconnu pour ses productions, on pense au récent Calabria de Pierre-François Sauter , ou encore l’enclave musicale formidable de Blue Note Records: Beyond the Notes signé par Sophie Huber, l’ancien de l’ECAL de Lausanne est un homme résolument fasciné par les arts. En chine aux côtés de Ai Weiwei il confrontait l’absurdité des hommes à la folie de leur architecture, dans Einsenberg le cinéaste tente de comprendre, sinon de nous exposer, le rapport délicat entre l'artiste, son étiquette et les galeristes; et se frotte à l’épineuse définition de l’Art.
Et oui car au fond, l’Art, c’est quoi? Einsenberg (le film) propose à la fois une explication par l’exemple, passionnant, celui de Christian Eisenberger, et s’avance sur les chemins sinueux d’une maïeutique maladroite. Einsenberg s’invite dans la psyché de l’artiste et se révèle étrangement bavard, comme s’il voulait accoucher d’une définition claire. Intellectualiser un mouvement organique par essence; les interventions et autres interviews du réalisateur en voix-off comptent parmi les moments les plus anecdotiques du documentaire. Un déplacement, un mouvement, une abstraction du réel, une déformation… À sa manière Dan Gilroy trouvait une forme d’excellence dans une divagation horrifique et métaphysique sur le marché de l’art et ses papes dans «Velvet Buzzsaw». Loin du mindfuck, Beuys de Andres Veiel lui, frisait l’admirable.
Mais si l’exposé nous paraît anecdotique c’est d’avoir manqué d’envergure, ou son sujet. Eisenberger (homme, père et artiste) rayonne d’une humanité inspirante et pourtant... «Je rencontre le génie, alors je brille à mon tour.» Einsenberg (le film) trébuche souvent, comme dispersé. Un peu chez la mère de l’artiste, un peu en galeries, un peu chez lui, une louable tentative vers l’intime qui percute une narration en dilettante. «Fais marcher ton imagination» entendra-t-on au détour d’une bassine taillée en visage. C’est donc ça qui manquerait au documentaire: de la fantaisie. Eisenberger nous parle d’Eisenberger, exercice à la fois maîtrisé dans la forme et inconséquent sur le fond. Quand la caméra s’éloigne de l’artiste, alors le documentaire ne raconte rien qui n’ait été déjà vu ailleurs. Laconique, Eisenberger compte parmi les poètes du «faire», encore aurait-il fallu se taire justement, et laisser-faire (un peu plus). En bref!
Producteur et réalisateur suisse, Hercli Bundi nous plonge ici dans les arcanes du monde de l’art et de l’artiste autrichien Christian Eisenberger. Louable projet réalisé avec un certain sens de l’esthétique qui pourtant ne peut s’empêcher d'aseptiser son sujet. Christian Eisenberger (l’artiste), n’en reste pas moins passionnant.
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