Fair Traders Suisse 2018 – 89min.
Critique du film
L’incendie et les colibris
Alors que des personnalités politiques du monde entier s’offusquent qu’une adolescente suédoise puisse venir leur jeter au visage ses inquiétudes pour le futur et sa colère face à la passivité des décideurs du monde, les prophètes de malheur, les écologistes apocalyptiques ne sont pas populaires, ils ne l’ont jamais été. Fut alors conceptualisée «l’écologie positive», invention quasi-marketing pour vendre une idée : passer à un mode de vie plus frugal rendrait en réalité plus heureux. Une idée intéressante en apparence mais qui trouve, à l’image de Demain de Mélanie Laurent et Cyril Dion, très vite ses limites. Même si dans une moindre mesure, ce sont ces mêmes limites qui entravent également Fair Traders de Nino Jacusso.
Face à une société de plus en plus absurde, industrielle et technique, trois personnes ont décidé de renverser radicalement leur mode de vie. Deux femmes et un homme : Sina Trinkwalder, ex-directrice d’une agence de marketing, produit aujourd’hui des vêtements zéro déchet. Patrick Hohmann quant à lui, ingénieur en textile et ancien commerçant de fil, a monté deux projets en Inde et en Tanzanie pour la production de coton bio. Enfin, Claudia Zimmermann, après une formation en pédagogie, s'occupe aujourd'hui d'une ferme bio avec un petit magasin villageois. Et si nous pouvions faire autrement? Voici la question posée par Fair Traders.
Alors, puisqu’il le faut, rappelons-les à nouveau : ethnocentrisme, dépolitisation et atomisation. Faisons rapidement un sort au premier : si Fair Traders ne charrie pas l’imaginaire safari profondément déplaisant de Demain, il flotte tout de même un drôle de parfum colonial sur le portrait du cultivateur de coton, l’un des trois sujets de Fair Traders. Pour le reste, c’est désolant à dire, mais sous couvert de se concentrer sur les solutions, Fair Traders est complètement aveugle face aux causes premières du problème sur lequel il se penche.
Cela est particulièrement manifeste dans le portrait de l’ancienne publicitaire reconvertie en patron d’entreprise (sic) dans le textile : Fair Traders prend en exemple des initiatives individuelles (atomisation) face à un problème et sans remettre en cause les hiérarchies du système de production qui ont mené à la situation actuelle (dépolitisation). La conséquence logique de cela, c’est l’absence flagrante de deux entités clés de notre monde moderne : les exploitants et les exploités. Fair Traders est un film fermé et dans lequel pas une seule fois ne sont prononcés les mots: libéralisme, capitalisme, lobby ou rentabilité. Dans le monde de Fair Traders, il n’y a pas de conflit social, juste une incompréhension qui durerait depuis 40 ans.
S’il a évidemment de bonnes intentions, le cap du film n’est pas le bon, et c’est bien dommage car sa mise en scène est la bonne. Aucune voix-off et absence totale du metteur en scène : toute la liberté est donnée aux sujets pour se déployer et s’exprimer. Même si quelques mises en scène sont voyantes et les entretiens un peu indigestes, il est à mettre au crédit de Nino Jacusso de ne pas faire la morale ou de ne pas se passer de la pommade, et à aucun moment on ne doute de la sincérité de sa démarche. Mais on aurait vraiment aimé le voir utiliser ces armes sur la bonne cible. En bref!
En faisant un film sur les colibris de Pierre Rabhi plutôt que sur les pyromanes, Nino Jacusso se trompe de sujet.
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