Styx Autriche, Allemagne 2018 – 94min.

Critique du film

Navigue et tais-toi !

Sven Papaux
Critique du film: Sven Papaux

Présenté à la dernière Berlinale, Styx est un film à la frontière du documentaire. Wolfgang Fischer utilise l’allégorie pour décrire la scission entre deux mondes : les migrants et l’Occident. Une histoire qui remet en cause les agissements de l’homme. Susanne Wolff excelle dans un rôle tout en retenue.



Médecin urgentiste de 40 ans, Rike (Susanne Wolff) part prendre la mer pour échapper à son quotidien. Direction l’île de l’Ascension depuis Gibraltar, pour se rendre sur un lopin de terre jadis cher à Charles Darwin, là où l’Anglais avait planté une forêt entière. L’Atlantique à perte de vue, Rike respire l’air marin à pleins poumons avant qu’une tempête ne s’abatte sur son frêle voilier. Une fois passée, le calme n’est pas de retour. Rike tombe sur un bateau où de nombreux migrants tentent vainement d’échapper à la misère de leur pays.

Gianfranco Rosi avait remporté en 2016 l’Ours d’or au festival de Berlin, grâce à son documentaire Fuocoammare. L’américano-italien posait sa caméra à Lampedusa pour y décrire un dilemme politique qui touche beaucoup de pays : l’immigration. Et cela peut tourner au massacre parfois, comme le prouve Styx. Wolfgang Fischer, lui, s’intéresse au même sujet par le biais de la fiction. Des réfugiés à bout de force que Rike aperçoit au loin. Elle s’approche et en récupère un, Kingsley (Gedion Oduor Wekesa), jeune garçon épuisé, déshydraté et presque inconscient. À bord de son minuscule voilier nommé Asa Gray, la quarantenaire tentera par tous les moyens de se faire entendre pour ameuter les secours. Des contacts radio mais rien n’y fait. Le vent emporte ses espoirs et ses illusions. La voilà livrée à elle-même, tiraillée entre l’ordre de rester à l’écart, comme signifié par la garde-côte, ou succomber à son devoir moral, celui de sauver de pauvres âmes.

Tout le long, alors qu’elle reste aux côtés de Kingsley, Rike combat l’indifférence des autorités. Naviguant en eaux troubles, Wolff fait étalage d’une vraie démonstration de retenue. Film crève-coeur, Styx de Wolfgang Fischer déshumanise une société occidentale à l’aide d’un simple bateau. Un face-à-face complexe, entre société occidentale et Rike. Une position inconfortable, un prologue face à l’atrocité passée sous silence. Et si la première partie du métrage reste une ennuyeuse et étriquée mise en place, le scénario pensé par Ika Künzel et Wolfgang Fischer expose avec réalisme la cruauté de notre monde. Un uppercut symbolisant l’urgence de la situation actuelle. Fischer redéfinit la cruauté de la race humaine, avec un bateau et un océan d’eau et de malheurs.

En bref !

Susanne Wolff délivre une performance aboutie, une démonstration d’intériorité. On garde en tête cette séquence où elle serre dans ses bras Kingsley, alors qu’il essayait de retourner chercher sa soeur. Des scènes poignantes pour un film qui s’articule comme un cri de détresse. L’Atlantique n’a plus rien d’apaisant, il est tragédies et dilemmes moraux.

26.03.2024

3

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Commentaires

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jean_pierre_vanparys

il y a 5 ans

Si j'adhère complètement à la politique migratoire consistant à accueillir les réfugiés, le film "Styx" m'a laissé quelque peu perplexe. Se risquer à partir seul(e) en vacances sur un voilier de 12 mètres qui ne comporte aucune annexe de secours et sans téléphone satellite est, aux yeux de nombreux adeptes de navigation, non seulement une erreur capitale mais aussi interdit par les lois maritimes. Donc déjà, au départ du voilier j'avais quelques doutes quant à la suite de l'histoire. Mais là où cela devient complètement délirant c'est d'entendre un capitaine de navire marchand demander par radio à un bateau de plaisance où il va et pourquoi il navigue dans ces eaux. Ce même capitaine de navire qui ne prend plus aucun contact avec ce voilier une fois la tempête passée, raison pour laquelle il l'avait initialement contacté. Et comme par hasard, plusieurs jours plus tard, ces deux navires sont toujours dans le même secteur malgré le fait que le voilier a du mettre en panne et a été fortement ralenti par la tempête. Des invraisemblances digne d'un "Star Trek IV".Voir plus


vincenzobino

il y a 6 ans

La planète des singes
Rilke, médecin secouriste, prend la mer depuis Gibraltar afin d'atteindre l'Antarctique et de suivre le périple de Darwin. Son périple, au large de la Mauritanie croise celui de Kingsley, un jeune migrant croyant trouver l'Eldorado et apparemment seul survivant de son embarcation de fortune. Quelle attitude adopter pour Rilke?
Annonciateur d'un enfer certain, ce film intriguait par sa situation de base et cette question suscitée: quelle est la part d'humanitaire en l'humain? La résolution n'est hélas pas de mise.
Le tout premier plan simien sur Gibraltar laisse supposer une critique sévère sur la lâcheté humaine et cette échappatoire que même les humains devenus animaux sauvages malgré eux peuvent s'entraider.
Je ne comprends toujours pas le lien entre l'événement de Gibraltar et la suite du récit; ni du reste, la véritable revendication de Rilke: l'on ne sait absolument rien d'elle, sauf qu'elle maîtrise la barre tant maritime que médicale; ni, et c'est plus grave, ce qu'il advient d'elle.
Tout ce que l'on retient est que Fischer a une dent contre l'humanité et semble nager en plein Styx scénaristique en nous prenant quelque peu pour ses semblables. L'homme descend du singe et est bien plus bas.
A vous de voirVoir plus


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