Une urgence ordinaire Maroc, Suisse 2020 – 85min.
Critique du film
À combien s’élève la vie d’un enfant ?
Dans la veine de La Fracture (2021), le nouveau film de Mohcine Besri présente un portrait cynique et sans concession de la crise du système de santé public marocain où sont exacerbées les violences sociales et systémiques au mépris de la vie.
En s’ouvrant sur une tentative de suicide ratée aux accents de comédie noire, Une Urgence ordinaire annonce déjà que son dénouement ne peut être heureux. D’ailleurs, ladite tentative d’Ali, justifiée d’abord par «un chagrin d’amour» marque en fait le désespoir de la population dans un État qui n’assure plus sa dignité. Suite à cet acte catalyseur, se déploie un récit choral où le destin de chacun est irrémédiablement lié par les déambulations fantomatiques d’Ali, soigné dans le même hôpital qu’Ayoub. À la faveur d’une nuit sous tension, ponctuée par les cris des supporters de Barça, les esprits se délient, les vieilles animosités éclatent et un enfant agonise. La mise en scène de Mohcine Besri révèle alors son brio en filmant cette tragédie sans en atténuer l’horreur, tout en usant des vitres et leurs reflets pour composer des plans dans lesquels les confrontations ont lieu à travers les yeux d’autres personnages.
Coécrit par le réalisateur et Cécile Vargaftig, le récit se déroule, certes, sur à peine une journée, mais assure de façon remarquable l’évolution psychologique de ses personnages. Vendre son enfant pour en sauver un autre, endetter sa famille pour assurer sa liberté, tuer ou laisser mourir, le long-métrage est traversé de ces dilemmes qui questionnent la moralité des individus quand la survie ne peut plus s’acheter. Même en faisant de l’antagoniste central un médecin corrompu, le film ne résume jamais la crise du Maroc à une opposition binaire. Les thèmes sont d’ailleurs sublimés par le montage de Naïma Bachiri, qui offre aux silences et à leurs sous-entendus la place d’exister, d’envahir le cadre jusqu’à ce que, assourdissants, ils soient remplacés par les cris de rage à l’unisson. Ainsi s’achève Une urgence ordinaire sur une note d’espoir du haut d’un toit qui surplombe le monde.
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