Bait Royaume-Uni 2019 – 89min.
Critique du film
La déchéance d’un pêcheur des Cornouailles
Un parcours remarquable dans les festivals du globe pour le film de Mark Jenkin qui décroche même le BAFTA du meilleur nouveau scénariste, réalisateur ou producteur britannique. Le réalisateur de Cornouailles explore en noir et blanc et 16mm les tensions sociales au cœur d’un village de pêcheur. Un drame expérimental.
Dans un village des Cornouailles, Martin (Edward Rowe) persiste comme pêcheur sans bateau et son frère Steven (Giles King) a reconverti son embarcation pour les touristes qui passeraient là. À la question “Est-ce que ça mord?” Martin répond “pas assez”. Voilà le drame exploré par Bait, l'absurde d’une existence perdue au milieu d’un monde en transition. Avec son jeune équipier (Isaac Woodvine), il tente de vendre quelques homards au bistrot du coin, son frère organise des enterrements de vie de garçon en pleine mer, et les tensions montent avec les propriétaires de leur ancienne maison. Sur les côtes de Cornouailles, face à la mer éternelle, un monde change.
D’aucuns taxaient le réalisateur d’écrire une fable sur le BREXIT, or Mark Jenkin s’en est défendu. Certes le pittoresque des Cornouailles (bien que jamais le terme ne soit prononcé) s’oppose à la trivialité d’une bourgeoisie conquérante (et conservatrice) sur les terres de leur enfance, mais Bait est une exploration plus large du phénomène de gentrification. Avec son esthétique d’un temps lointain, tourné avec une caméra ciné Bolex vintage et sur un film noir et blanc de 16 mm, les images ont été retravaillées à la main, et le phrasé comme un rêve lynchéen porte un conte visuel percutant.
Sélection naturelle inhérente à la modernité, Martin est de ces laissés-pour-compte, son frère vivote parmi les vagues et les touristes. Et les saisonniers se plaignent du bruit des bateaux au petit matin. Ce petit village sert de huis-clos pour une anthropologie abrupte des relations humaines. Le cynisme infuse de toute part, et l’amour au milieu du fiasco… Martin (incarné par un Edward Rowe crépusculaire) blâme les colons; la fable d’un monde en mouvement, où les locaux se cognent à la poigne des envahisseurs.
Ultime sophistication esthétique qui vacille entre Sergei Eisenstein et Nic Roeg, peut-être que Mark Jenkin plonge un peu (trop) dans le sentimentalisme d’une époque révolue et des traditions mourantes. Or la fable est belle, expressionniste, existentialiste, inquiétante et fascinante. Bait se pose à l’aube d’un monde nouveau, à la fin de l'innocence, lorsque l’humain se déchausse de sa condition. Il ne reste que la mer pour plonger.
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