Liberté France, Allemagne, Portugal, Espagne 2019 – 132min.

Critique du film

Laissez-moi vous décrire un plaisir!

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Alors qu’il nous laissait avec La mort de Louis XIV, porté par un Jean-Pierre Léaud majestueux, le réalisateur catalan Albert Serra revient au cœur de la révolution française, pour nous conter une nuit chez des libertins expulsés de la cour puritaine de Louis XVI. Liberté révèle une fresque onirique aux réminiscences des 120 Journées de Sodome; spectrale, somptueuse, obscène et dévote.

Emportés par la frénésie des Lumières, Madame de Dumeval (Theodora Marcadé), le Duc de Tesis (Marc Susini) et le Duc de Wand (Baptiste Pinteaux), des libertins expulsés de la cour puritaine de Louis XVI, recherchent l’appui du libre penseur allemand le Duc de Walchen (Helmut Berger) pour exporter leurs pratiques outre-Rhin. Alors que le royaume de France se meurt de puritanisme et de fausse vertu, le libertinage transgresse l’ordre établi, recèle de plaisirs inassouvis, et recrute dans ses rangs les novices du couvent voisin. Le temps d’une nuit, Albert Serra nous plonge parmi les murmures et les pratiques de cette communauté des bois.

«Son corps sera l’autel de notre monde» entendra-t-on, et l’imaginaire vacille dès l'entame. La caméra en plans fixes, filme des tableaux dont nous ignorons encore le dévot dessein. L’arrogance de leurs tentures, face à la foudroyance de leurs rêveries. Albert Serra mêle les murmures et autres craquements des bois pour nous conter une histoire du libertinage en off, un premier temps du moins. Bientôt l’érotisme du hors-champ laisse place à une orgie noire, la nuit est tombée, les corps se dévoilent et les passions se révèlent avec violence, au seuil de la torture, alors que le Compte de Tesis manigance un enlèvement au couvent.

Quand le cinéma relève du voyeurisme, Albert Serra livre une version obscène, éreintante, scatophile et écoeurante qui emprunte à la langue du Marquis de Sade et à la lenteur. Une sorte d’hypnose, mieux, une transe (par la douleur) composée de tableaux hérétiques fascinants. «Dieu est un pervers avec lequel j’aimerais traiter», la phrase se glisse quelque-part entre les coups de fouet interminables et la débauche urinifère finale. Les corps mortifères embrassent la scatologie d’un imaginaire jamais rassasié. Des gémissements perdus entre l’horreur, la torture et le plaisir. Albert Serra sape la morale. «Je préfère l’expression de la douleur à celle du plaisir, moins douteuse, on ne s’y trompe jamais». Les paroles de Baptiste Pinteaux dans la peau du Duc de Wand transcendent l’hypocrisie à la cour. Au milieu des bois, ni Dieu ni maître, tous un peu esclaves.

Empruntant aux libertins du 18ème pour nous parler de notre époque, Liberté est de ces œuvres écoeurantes ou prodigieuses qu’il faudra laisser au temps. Le métrage abasourdit son auditoire et titille notre résistance au dégoût. Le cadrage, les contre-jours et la photographie au milieu des bois de Artur Tort nous renvoient à notre propre imaginaire, et c’est bien là qu’Albert Serra se révèle monstrueux. Prix spécial du Jury dans la catégorie Un certain regard cette année à Cannes, Liberté est une sorte d’autopsie abjecte de l’aristocratie, de la religion et des rapports sociétaux au 18ème, qui reflète la standardisation et l’asservissement de nos contemporains. La parabole proposée par Albert Serra sera vertigineuse. Liberté n’en reste pas moins une épreuve contemplative d’un calme et d’une intensité troublante.

En bref!

Après la La mort de Louis XIV, Albert Serra s’attaque au libertinage au 18ème et révèle une œuvre d’une intensité déstabilisante et à la photographie fabuleuse. Quand l'obscène se mêle au sublime!

11.11.2019

3.5

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