Martin Eden France, Allemagne, Italie 2019 – 129min.
Critique du film
Adaptation intemporelle du roman de Jack London
Il est l’auteur des «Vagabonds du Rail», de «La Route» qui ne manquera pas d’inspirer un autre Jack, de l’illustre «Talon de fer», et son «Martin Eden» trône parmi ces œuvres aussi inévitables que nécessaires. Une puissance historique fondamentale, transfuge des classes à travers la culture; Pietro Marcello plonge Jack London dans un écrin teinté des années 80.
Le XXᵉ siècle est en proie à des changements majeurs, au milieu d’une époque tourmentée végète un jeune matelot aspirant écrivant, Martin Eden (Luca Marinelli), et qui s’émancipe des siens pour s’attirer les grâces d’une jeune et séduisante bourgeoise (Jessica Cressy). Martin découvre la poésie, la littérature et la philosophie de Spencer. L’instruction pour s’extirper du prolétariat, Martin assimile les dynamiques sociales et la pensée du XXᵉ avec une aisance insolente. Bientôt, Martin Eden devient l’un des fervents pourfendeurs de la bourgeoisie.
Une désillusion, un roman empêtré entre socialisme et individualisme, mais un monument de la littérature américaine du XXᵉ; «Martin Eden» raconte l’ascension douloureuse d’un génie autodidacte dans les hautes sphères bourgeoises avant de trahir ses origines. Le roman fait écho à la vie de son créateur. Paru en 1909, hué par les Américains, salué en Europe, l’histoire d'un désenchantement politique, social et intellectuel, «Martin Eden» préfigure le siècle à venir. Pietro Marcello et Maurizio Braucci, le coscénariste du film, offre à l’histoire une adaptation audacieuse, au passage, un rôle d’une beauté cinglante pour le romain Luca Marinelli (prix d’interprétation à Venise).
Matelot napolitain, Martin aime le voyage et l’aventure intellectuelle, à la croisée des mondes, capable de penser pour séduire, à la barbe de son siècle, il s’est fait tout seul dans son rapport à la culture. Adolescent qui voulait plaire, il apprend les rouages d’un monde qui abat les siens comme des chiens sauvages. Bientôt une figure socialiste, «car c’est inévitable» lui dira son mentor (Carlo Cecchi), il monte à la tribune et devient une sorte de rockstar anticonformiste. Martin rejette son siècle et la pensée dominante, et l’on suit notre protagoniste jusqu’au terme d’une ascension aliénante.
Pietro Marcello, déjà auteur de La Bocca del Lupo et de Bella e Perdutaqui et qui s’illustre aussi en tant que son propre directeur de la photographie, habille London d’une composition visuelle lyrique. La lumière de la baie de Naples rendue en 16mm et les années 80, des plans comme des peintures qui passeraient là, où les images d’archives émergent de la pellicule comme autant de témoins du XXᵉ, un écho du réel. L’entêtement passionné sert une fresque narrative, sa fougue et ses loyautés contrariées. Après L'appel de la forêt sorti en février dernier, l’inadaptable Jack London retrouve le chemin des salles obscures. Une volte effrénée, insolente, désillusionnée; Pietro Marcello signe un grand film!
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