Push Suède 2019 – 92min.

Critique du film

Un film pour un toit

Camille Vignes
Critique du film: Camille Vignes

Fredrik Gertten met un énorme coup de pied dans la fourmilière avec Push. Derrière son esthétique léchée et ses interviews cyniques, c’est la crise du logement que pointe son documentaire. Les rues des quartiers les plus chics se vident face aux prix grandissants du marché. Les entreprises étrangères achètent frénétiquement des biens, participant grandement à la hausse des prix et ne laissant plus que des clopinettes aux habitants des grandes villes.

Dans ce documentaire, Fredrik Gertten enquête sur la pénurie de logements abordables qui frappe le monde. Le constat est simple: où que l’on se trouve, quelle que soit la ville, il est de plus en plus difficile (si ce n’est quasiment impossible) de trouver un logement à un prix décent. Et alors qu’avoir un toit est une des conditions sine qua non à la santé, le droit fondamental de se loger déserte peu à peu certaines parties du monde.

Leilani Farha, journaliste reporter de l’ONU sur le logement est le visage du film. Elle parcourt le monde et tente de comprendre qui est chassé des villes et surtout pourquoi. Son seul mentra est de dire qu’il y a une immense différence entre l’habitat comme marchandise et l’or. Que l’or n’est pas un droit humain, contrairement à l’habitat.

Alternant témoignages de particuliers et explications de spécialistes, comme celles de l’économiste Joseph Stiglitz (lauréat du prix Nobel avec George Akerlof et Michael Spence en 2001 pour leurs travaux sur les marchés avec asymétrie d’information), le film ne cache jamais ni son discours ni la gravité de son propos. Accumulant les exemples d’individus trinquant pour les décisions déraisonnables des puissants, Fredrik Gertten fait porter la charge des maux contemporains aux grandes entreprises (via les paradis fiscaux et le blanchiment d’argent), aux banques et aux assurances. Les premières peuplent les villes de fantômes. Investissant dans les immeubles les plus prisés de Notting Hill, par exemple, elles réduisent l’offre de logements disponibles, les prix du marché augmentent inexorablement et rendent l’habitat de moins en moins accessible à la classe moyenne. Les autres de leur côté (banques et assurances) ont précipité les travailleurs de cette même classe vers leur perte après la crise des subprimes. Car si l’état américain a permis au marché financier de ne pas s’effondrer en 2008 en réinjectant des milliards dans les banques d’affaires, les particuliers sur-endettés et privés de leur logement n’ont, eux, jamais reçu la moindre aide.

Fredrik Gertten accumule les exemples de difficultés quotidiennes (propriétaires inactifs face à l’invasion de rats et de cafards, présents uniquement pour récolter leur rente à la fin du mois…), soucieux de dénoncer les dérives impunies des puissants. La vérité derrière ces tristes réalités est toujours la même. Les leaders se permettent de violer un des droits humains les plus fondamentaux, le droit au logement. Croyant les habitants des classes populaires trop bêtes pour se rendre compte de quoi que ce soit, ils s’étonnent de n’avoir comme seule réponse l’amertume de ces derniers. Mais dans l’ivresse que leur procurent le pouvoir et l’argent, ils oublient une chose importante. Il n’est pas nécessaire de connaitre les tenants et les aboutissants d’une crise pour se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond. Que le monde se transforme en une cage aux lions internationales où les puissants tirent toujours plus parti des classes d’en bas.

En bref!

Dans ce contexte actuel où les classes populaires se révoltent et osent prendre la parole, Push résonne amèrement. Fredrik Gertten s’empare de ce sujet aussi grave qu’épineux avec humour et humanité. Au lieu de ne s’attarder que sur l’aspect économique du problème comme d’autres ont fait avant lui, il montre comment le quotidien de la plupart des gens en est affecté. Push n’est pas totalement l'œuvre d’un activiste, mais c’est un documentaire d’utilité publique qui a pour volonté d’ouvrir les yeux de son public, d’éveiller les consciences.

04.12.2019

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