Verdinger Suisse 2019 – 90min.
Critique du film
Une vie à souffrir
Dans son premier documentaire, le réalisateur suisse Saschko Steven Schmid livre une histoire douloureuse, celle d’Alfred Ryter, un homme endolori, placé dans une famille d’accueil à l’âge de 7 ans. Un récit sur les traumatises vécus et sur leur impact dévastateur.
C’est une histoire qu’on croirait tout droit sortie d’un film dramatique et pourtant, la réalité dépasse la fiction. Alfred Ryter est né dans l’Oberland bernois, dans une famille très modeste, mais heureuse. À la fin des années 40, sa mère tombe malade. La vie jusque-là si paisible se désintègre soudainement. Sans aucune explication de la part de son père, le garçonnet de 7 ans est placé dans une famille d’accueil. Le cauchemar débute alors pour le petit Alfred. Jeté dans un cabanon sans chauffage, sans eau, ni lumière, sans un lit décent, le bambin subit la double peine : celle d’avoir été arraché à une famille aimante ajoutée à celle d’être maltraité par le couple de paysans qui l’a recueilli.
Traité pire qu’un animal, l’enfant doit travailler comme un forcené et accomplir les mêmes tâches qu’un adulte, tout ça en étant sous-alimenté. Deux années durant, Alfred vit l’enfer, enfermé à journée faite dans ce cabanon et battu lorsqu’il ose chiper une orange, alors que la faim n’est plus supportable. À la douleur et la tristesse vient s’ajouter l’incompréhension du garçon à qui personne n’a jamais pris le temps d’expliquer pourquoi il avait dû quitter sa maison.
Témoignage aussi bouleversant qu’invraisemblable, le documentaire alterne entretiens face caméra avec Alfred Ryter et images de reconstitution avec des acteurs, conférant au métrage un aspect cinématographique plaisant. Des plans fictifs réalisés avec maîtrise par Saschko Steven Schmid, figés dans une atmosphère désaturée, brumeuse et maussade, où le soleil ne semble jamais laisser transparaître le moindre de ses rayons. La pluie, puis la neige, le brouillard et le froid, traduction littérale du désespoir ressenti par ce petit garçon jeté aux oubliettes.
Les douleurs d’antan sont les traumatismes du présent, et le documentaire illustre sans détour la face misérable du genre humain, la cruauté et les ravages en découlant. Alfred Ryter se livre avec une dignité stupéfiante sur des blessures qui ont fait de lui un homme ruiné, hanté à vie, que même 25 ans de thérapie n’ont su apaiser. Émouvant et submergé par l’incompréhension, il ressasse sans jamais trouver de réponses à ses questions. Il se répète au micro de Schmid et, à voix haute, il exprime ce que sa pensée et son bon sens n’ont jamais réussi à concevoir.
Lauréat du New York Cinematography Award et du Toronto Film Channel Award en 2020, Verdinger offre matière à réfléchir. Non exempt de quelques faiblesses, à commencer par un accompagnement musical au piano à la limite du supportable à force de jouer les mêmes notes, le film de Saschko Steven Schmid fait état d’une existence de souffrances, et d’un homme courageux, dont les plaies béantes ne pourront probablement jamais être pansées. Éprouvant.
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