Vif-Argent France 2019 – 106min.
Critique du film
L’au-delà, du bout des doigts
Remarqué dans la sélection de l’ACID à Cannes et récipiendaire du beau prix Jean Vigo, Vif-Argent de Stéphane Batut a réussi à se faire remarquer avec son histoire d’amour fantomatique dans la nuit de Paris. Un petit film indépendant qui ne manque pas de charme, mais peut-être un peu de corps.
Juste (Thimotée Robart) est mort, mais ça ne lui fait pas très plaisir. Il préférerait continuer d’exister. Pour cela, on lui trouve un arrangement, il accompagne les âmes fraîchement défuntes vers la suite, tout en recueillant un dernier souvenir. Mais lorsque ce jeune Charon en herbe rencontre Agathe (Judith Chemla) et se met à manquer quelques rendez-vous avec de nouveaux morts, les choses s’emballent. Plus troublant encore, Agathe semble le reconnaître sans l’avoir jamais vu, comme s’il faisait à la fois parti de son présent et de son passé...
S’il a un parti pris photographique et un rapport à la musique et au temps bien différents, Vif-Argent s’inscrit pourtant dans la lignée des cinéastes français comme Bertrand Mandico ou Yann Gonzalez, ceux qui opposent au naturalisme régnant sur le cinéma français une invitation au voyage, une redécouverte du style pour le style et surtout des types de récits qui ressuscitent l’étrange et le surnaturel et mettent en valeur l’expression d’émotions à fleur de peau.
On le répète, si son style n’a rien à voir, Stéphane Batut adopte une démarche similaire avec son histoire simple d’amour fantomatique, impossible, faite de petits riens mais de grands bouleversements (et qui aurait pu servir de bases pour une parodie un peu méchante d’un remake frenchie auteuriste de Ghost). Et il faut bien admettre que le charme opère très rapidement, grâce à un découpage sobre mais percutant, une interprétation très douce et surtout grâce à une photographie avec un cachet évident.
C’est avec un plaisir ravissant que l’on suit les oiseaux de nuit de Stéphane Batut dans leur quête de sentiments, dans leurs explorations nocturnes à la recherche d’une exaltation qui ne peut que ne pas être de ce monde et dont il faut saisir les bribes cachées dans les interstices du quotidien et dans les ombres d’un monde urbain en béton... quand elles ne sont pas tout simplement dans l’intimité du lit et du contact sexuel.
Une scène d’amour interdimensionnelle qui résume bien à elle seule le caractère romantique confinant à une certaine forme de naïveté et la réussite technique (mélange de prises de vues réelles et d’animation) et esthétique de Vif-Argent: rendre tangible l’extraordinaire auquel aspire ses personnages ordinaires et montrer qu’il est à portée de main de quiconque tente de lever le voile.
Pour autant, Vif-Argent se heurte aussi à la dure limite du cadre de son exercice, et s’il propose une poésie du quotidien, et réussit formellement à faire naître un peu de magie, une fois les lumières rallumées, l’arrière goût est étrangement frustrant. Vif-Argent promène, mais a du mal à saisir, la faute peut-être justement à cette volonté d’être un conte sans chute, de se ficher de la destination tant que le voyage est beau. Et le voyageur fait un beau voyage spirituel, c’est certain. Dommage qu’il ne le transforme pas et se termine à la case départ: on regagne son corps et son esprit comme on les avait laissés.En bref!
Vif-Argent est un film qu’on aurait été déçu de ne pas voir, mais dont on ressort trop inchangé.
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