Rien que le soleil (Apenas el sol) Paraguay, Suisse 2020 – 75min.
Critique du film
La mosaïque des récits d’une autre vie
Comment sensibiliser un public étranger à la détresse d’un groupe, d’une tribu, d’une communauté, sans tomber dans le misérabilisme ou la réappropriation ? C’est ce qu’accomplit la réalisatrice Arami Ullón qui, forte des critiques élogieuses de son premier documentaire El tiempo nublado, nous amène à la rencontre des ayoreos victimes de la colonisation.
Mateo Sobode Chiqueño a perdu ses parents lorsque des missionaires blancs les ont arrachés, lui et sa tribu ayoreo, de la forêt paraguayenne où ils vivaient. Désormais âgé, il parcourt les régions inhospitalières du Chaco pour enregistrer sur son vieux magnétophone les chants et les douloureux récits de la complète dépossession des siens, tandis qu’il espère toujours revenir sur ses terres ancestrales.
Chaleur étouffante, pauvreté des habitants rencontrés, abandon presque complet de l’État après le vol des terres appartenant aux ayoreos, omniprésence de la religion chrétienne qui a diabolisé toutes les anciennes traditions et prévient la transmission culturelle aux descendants, voilà le tableau désastreux que dresse Arami Ullón aux côtés de Mateo. Sans mise en contexte préalable, on plonge directement dans les mémoires des dernières âmes arrachées à leur communauté qui se souviennent de l’avant. Si certains ont pu échapper à l’évangélisation et que d’autres sont retournés vivre dans la forêt, les témoins interrogés sont de ceux qui ont du tout abandonner, si ce n’est leur langue, pour vivre éparpillés dans des villages à l’écart du monde des Blancs.
Au contraire de son précédent long-métrage, la réalisatrice ne prend pas ici le rôle de narratrice, ni même d’intervieweuse, mais d’observatrice silencieuse qui rend compte par les images de ce que les cassettes ne peuvent enregistrer : les mains tremblantes ou diligentes, la retenue face à celui qui nous a condamné, les cadavres au bord des routes, les arbres amputés et ce soleil qui brille encore malgré l’incendie.
Jamais pédagogique, parfois au détriment de la compréhension de la spectatrice, Rien que le soleil mêle adroitement les souvenirs des anciens à ceux de Mateo, les silences pudiques, les illustrations de la vie quotidienne entre l’agriculture et l’église, et l’écoute d’anciennes bandes, où demeureront vivantes à jamais la langue et la culture de ceux à qui l’on a fait tout payer, si ce n’est l’astre du jour. D’ailleurs, le film atteint la grâce lorsqu’une chamane, consciente que son savoir mourra avec elle, donne une bénédiction chantée à celui venu la trouver, et grâce au cinéma, à nous aussi.
Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.
Login & Enregistrement