Sweat Pologne, Suède 2020 – 100min.

Critique du film

Panique au fitness

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Labellisé Cannes 2020, Sweat du réalisateur Magnus von Horn propose une enclave polonaise dans le monde du fitness. Trois jours dans la peau de Sylwia Zajacm, une instagrameuse de renom alors qu’un stalker lui colle aux basques.

Sur Instagram, Sylwia Zajacm (Magdalena Kolesnik) partage ses séances d’entraînement et ses recettes de boissons protéinées. Une figure du fitness aux yeux bleus profonds qui fait rêver son auditoire. Un succès qui s’élève à près de 600 000 followers, de quoi promouvoir une vie de bonheur immaculé et amadouer les marques. Chacun de ses posts est scruté au peigne fin par la toile, la moindre de ses émotions fait le buzz, jusqu’à cette vidéo dans laquelle elle partage sa solitude et le souhait de trouver un compagnon. Provoquant un tollé de réactions, le message semble avoir trouvé une résonance toute particulière chez l’un de ses fervents admirateurs. Dès lors, l’homme se planquera dans sa voiture en bas de chez elle…

Sorte de réincarnation polonaise et à l’heure des réseaux sociaux d’une Jane Fonda et ses célèbres «Jane Fonda's Workout», Sylwia perpétue une tradition du bien-être sur les matinales télévisées de Pologne et lors de grands rassemblements fitness. «Travaillez avec le corps que vous avez, et non avec celui dont vous rêvez!» entendra-t-on. La jeune femme partage un message positif éclair, simple et efficace. Une profusion de positivisme porté par la personnalité solaire de Sylwia. Alors la foule et les marques s’agglutinent et elle leur partage tout. Dans les escaliers, après une séance d’entrainement, ses journées sont minutieusement documentées sur Instagram, et sans rien avoir à envier à une pop star, c’est en larmes que ses fans lui confient combien elle a changé leurs vies.

Ainsi Magnus von Horn nous emmène à la rencontre de ce que l’on soupçonne, mais que l’on ne voit jamais: l’envers du décor, lorsque l’on replie la perche à selfie. Magnus von Horn filme celle qui ne cesse de se filmer. Deux visions du réel s’imposent et s’opposent et les caméras de téléphones répondent aux caméras de cinéma. Une réalisation à l’orée du documentaire, lavée d’une cinématographie esthétisante, la caméra de Magnus von Horn nous plonge dans les arcanes sensibles d’une vie d’Instagram, décrédibilisée jusque dans les tréfonds de son entourage pour être très exactement une vie de pacotille à l’air d’internet.

Et rien n’y fera, ni les couvertures glamour de «Women’s Health», ni l’argent, la poupée doit se taire, et si elle se fait harceler, on lui dira, à demi-mots, qu’elle l’a bien cherché. Maternisée, paternisée, une réunion de famille mettra en exergue l’émancipation douloureuse et les stigmates de l’ère post-communisme polonaise. Et alors qu’elle offre un nouveau téléviseur à sa mère et son nouveau compagnon (rappelant l’obsession polonaise pour la télévision en ouverture de Twarz), voilà qu’autour de la table on gesticule quelques mouvements de fitness et qu’on lit à gorge déployée ses interviews. Réduite à un objet de foire, Sylwia tente pourtant de confier sa solitude et l’expérience abjecte avec ce type qui se pointe le soir en bas de chez elle; à ce jeu, Magdalena Kolesnik livre une partition d’une impeccable justesse.

Dans un genre Fenêtre sur cour, bientôt Sweat emprunte au film noir et au thriller sanglant. Si un calme assourdissant règne sur l’ensemble de la bobine, Sylwia ne cesse pourtant de crier à l’aide. Jamais Sweat ne propose un cinéma gargantuesque, au contraire, le métrage se cape de plans et d’une lumière en retenue. Si Sweat dévoile un objet de cinéma assez unique, et malgré la partition de Magdalena Kolesnik, l’envoutement sera léger. Jusque dans son final, il nous manquera peut-être une écriture plus enragée. Pour son sujet Sweat, n’en reste pas moins une curiosité à découvrir sans conteste.

05.05.2021

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