Copilot France, Allemagne 2021 – 122min.

Critique du film

11-Septembre frontal et méta

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Présenté dans la sélection Panorama au festival de Berlin en 2020, la cinéaste allemande Anne Zohra Berrached a révélé un film qui n’a pas manqué d’interpeller son auditoire. Accompagnée de la scénariste Stefanie Misrahi, le tandem s’est plongé dans les récits d’épouses de terroristes pour écrire une histoire d’amour polarisée par les idéaux politiques aux portes d’un mois de septembre pour les manuels d’histoire.

Au milieu des années 90, Saed (Roger Azar) rencontre Asli (Canan Kir) en Allemagne. Il est un jeune étudiant débarqué du Liban pour étudier la médecine dentaire. Enfant, il rêvait de devenir pilote, mais le voilà étudiant en science pour convenir à sa mère, et Asli prépare des études de biologie. L’université se révèle propice à quelques rêveries amoureuses, coup de foudre immédiat et marié en un éclair, bientôt le couple se confronte aux divergences de leurs familles. Saed est issu d’une famille de Beyrouth, traumatisée par la guerre, et plutôt libérale ; Asli est une enfant de l’immigration Turque en Allemagne. Mais les années passent et bientôt les projets de Saed commencent à dévier.

Déroulé sur cinq ans, les excellents Roger Azar et Canan Kir prêtent leurs visages à ce couple si particulier. Leur romance crève l’écran, Roger Azar électrise. Cinq années découpées en quelques chapitres pour décrypter l’indicible parcours de la radicalisation et pour comprendre le silence de l’épouse à la faveur du collectivisme. Une histoire passée au crible d’une réalisation minutieuse, attentive à l’entourage et aux contextes politiques et religieux. Déracinés, à la croisée des mondes, Saed et Asli incarnent ces deux générations au cœur d’une Allemagne à peine réunifiée ; l’une qui fuit les décombres de la guerre civile au Liban, et l’autre, les enfants de ces « travailleurs invités », les fameux « Gastarbeiter », arrivés en Allemagne dans les années 60.

De père algérien, Anne Zohra Berrached grandit en République fédérale d'Allemagne et Copilot véhicule aussi son héritage familial. « Ils (Saed et Asli) sont nés de nos recherches, de nos cœurs et de nos esprits (...) » raconte Anne Zohra Berrached avant de poursuivre « ce n’est pas un film historique, mais plutôt ma synthèse d’histoires et de personnages rencontrés en chemin ». Romance librement inspirée par les récits de femmes de terroristes, incursion privilégiée dans le berceau du 11-Septembre, et une histoire personnelle qui se greffe au grand cycle européen de l’Allemagne ; et Copilot connecte son scénario au multivers du 21ème siècle avec plus ou moins d’aisance.

Aussi documenté soit-il, Copilot laisse dubitatif quant aux intentions fictionnelles du récit. 2001 restera à jamais l’odyssée du 21ème siècle et, aussi passionnante soit Canan Kir dans ce portrait de femme, Copilot semble dépassé par son bras de fer avec l’évènement auquel il se rattache. D’autant que les transformations s’opèrent ici hors-champ. La caméra, et malgré quelques élans inspirés, se concentre sur leur couple, et rien ne transpire vraiment de la croisade spirituelle entamée par Saed, sinon les quelques artifices d’usage. Alors, aux scènes intimes sans doute aurions-nous préféré lire, nous aussi, ces fameux SMS, être au téléphone avec cet « ami de la mosquée » et partir pour le Yémen et ainsi comprendre l’embrigadement et les raisons de la colère.

Et pourtant, pouvons-nous décemment reprocher à Copilot de ne pouvoir démanteler l’entière et épineuse réalité de la radicalisation ? Etait-ce d’ailleurs son intention ? André Téchiné y est-il arrivé dans le pourtant réussi L'adieu à la nuit (2019) ? Et si Four Lions (2010) était excellent, c’était surtout de nous avoir fait rire. La fiction parait parfois bien pâle, Copilot pourra surprendre dans son approche frontale et méta du réel. D’autant que le film sort dans le contexte particulier des 20 ans des attentats, et du procès fleuve des attaques du 13 novembre en France. Et nous voilà, nous aussi, coupables de cette obscure émotion à la lecture finale de la lettre post-mortem adressée à Asli. Copilot a quelque chose d’assourdissant, pour le meilleur et pour le pire sans doute.

11.11.2021

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