Critique du film
Une quête initiatique déroutante
En 2018, l’actrice et réalisatrice Natalya Kudryashova recevait à Venise le prix Orizzonti pour son rôle dans L’homme qui a surpris tout le monde. À l’occasion du Festival du Film de Locarno, elle présente Gerda : un long-métrage énigmatique.
Gerda (Anastasiya Krasovskaya) est étudiante en sociologie le jour, et pole dancer la nuit. Au sein d’une famille morcelée – un père violent aux apparitions fracassantes et une mère en proie à des crises de somnambulisme quasi mystiques –, Gerda tente de trouver une voie émancipatrice.
Cadrant magnifiquement les visages et les intérieurs dont les tapisseries fleuries contrastent avec une certaine vétusté, Natalya Kudryashova pose un regard sensible et dépourvu de voyeurisme qui permet d’appréhender différentes réalités sociales. En menant une enquête sociologique – une sorte de rapport russe du bonheur – auprès de la population, Gerda critique un système russe fragilisé par la précarité. Perpétuée avec brutalité par les clients des danseuses et le père de Gerda, la violence physique et psychologique révèle une inquiétante banalisation. À ce propos, il convient de souligner la finesse de la réalisatrice qui parvient à éviter un certain manichéisme, tout en contournant le piège de la fétichisation des corps.
Dosée à merveille, la lumière façonne des tableaux envoûtants et mélancoliques où la discothèque rouge, les barres d’immeubles glaciales et les corps en clair-obscur deviennent autant de lieux traversés par des mouvements vitaux cryptiques – au prix d’une trame narrative quelquefois discontinue.
C’est peut-être du côté de l’énigme métaphysique que la discontinuité évoquée trouve une explication. Malgré un recours plutôt kitsch au symbolisme, ce récit initiatique sur fond de décadence s’attelle à la démonstration d’une intéressante, mais non moins étonnante réconciliation : celle de la théorie et de l’expérience. Oscillant entre étendues de forêt propices à la contemplation, souvenirs, et bas-fonds obscurs, la narration parvient – avec plus ou moins de réussite – à figurer l’allégorie de la caverne de Platon. Conditionnée par une insupportable souffrance, la libération de l’âme offre un réconfort relatif : toute douleur devient-elle pour autant acceptable ? Si la proposition mérite d’être saluée pour son audace, on pourra néanmoins lui reprocher de proposer une représentation de l’âme et une expérience ésotérique quelque peu caricaturales.
(Critique par Cassiane Pfund dans le cadre de la Critics Academy du 74e Festival du film de Locarno.)
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