Je suis Karl République Tchèque, Allemagne 2021 – 126min.

Critique du film

La génération Y s'en va en guerre

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Réalisateur notamment de «Mitten in Deutschland: NSU» et de «Deutschstunde» adapté de Siegfried Lenz en 2019, décortiquer le passif national socialiste et sa progéniture en Allemagne, Christian Schwochow n’en est pas à son premier coup d’essai. Le voilà de retour en plein cœur de cette 71ème Berlinale virtuelle avec «Je Suis Karl» ou la montée en puissance d’une nouvelle icône européenne de l’extrême droite âgée de 25 ans incarné par Jannis Niewöhner aux côtés de Luna Wedler, victime d’un attentat à Berlin. Avec en trame de fond la politique migratoire d’Angela Merkel, «Je Suis Karl» ne pouvait pas être plus actuel.

Fraîchement de retour à Berlin, Maxi (interprétée par Luna Wedler) retrouve tendrement ses parents et ses deux frères, mais alors que son père (Milan Peschel) accepte par mégarde un colis piégé des mains d’un livreur, leur immeuble est projeté en fumée. Elle vient de perdre sa mère et ses deux frères, seule survivante avec son père de cet attentat. Une ville s’émeut à l’unisson pour cette famille, pour le père de Maxi, il s’agit de faire le deuil et Maxi s’anime d’une furie vindicative. Bientôt sous la coupe d’un certain Karl (Jannis Niewöhner), la voilà projetée dans les arcanes du mouvement «(Re)generation» à Prague, un groupe qui prétend incarner la «Nouvelle Europe» et qui ne manquera pas d’instrumentaliser les évènements berlinois. Maxi pourrait bien devenir la nouvelle figure de proue du mouvement.

Un sujet brûlant, là où la fièvre d’une nouvelle extrême droite bourgeonne en Europe. Pour défricher cette actualité sous tension, Christian Schwochow s’est une nouvelle fois accompagné du talentueux Thomas Wendrich, duo déjà à la barre de «Mitten in Deutschland: NSU», et nous voilà plongés dans l’intimité d’un groupuscule qui scande «Sieg Heil» pour faire des blagues. Mais ne vous y méprenez pas “c’était hier” entendra-t-on, et les hooligans aussi! La rhétorique d’antan n’a jamais était plus actuelle, la verve s’actualise, mais les idées persistent et pourraient faire la couverture de GQ. Et le charismatique Karl de porter le flambeau de cette «Nouvelle Europe». Derrière ses yeux bleu-lagon, un esprit qui crée des monstres, qui s’amarre à la haine et qui, jusque dans un final sordide, mitraille l’islam et les migrants.

Récemment, le scandale Cambridge Analytica témoignait déjà de la capacité de l’extrême droite à s’armer du fleuron de la technologie moderne pour percer. Diffusés en live sur les réseaux, ici les meetings s’éveillent comme des conférences TED face à une foule qui s’anime comme les petits fantassins d’un patriotisme maladif. Des quasi prépubères aux idées tranchées comme un glaive. L’attentat berlinois devient l’instrument idéal d’un parti qui cherche à rependre la peur en Europe et «Je Suis Karl» reflète l’itinéraire de la haine chez la génération Y et ce jusqu’au triomphe de celui qui s’érige en martyre en tomber de rideau.

Passionnant lorsqu’il s’attaque à cette actualité brûlante, le long-métrage prend le pari d’un duel très frontal avec son sujet, d’une narration finalement linéaire et «Je Suis Karl» réveillera entre autres un débat ancestral: suffirait-il de pointer l’horreur du doigt pour la combattre? «Je Suis Karl» entame ici un travail de longue haleine. Loin de laisser son audience indifférente, le métrage de Christian Schwochow aurait presque le nez trop proche de sa tambouille pour en décanter un véritable tour de force scénaristique et cinématographique. Difficile alors pour les partitions des pourtant très talentueux Luna Wedler et Jannis Niewöhner de véritablement convaincre. Dans un registre un brin différent, «Der Hauptmann», dans lequel nous avions déjà croisé l’excellent Milan Peschel, «Four Lions», ou même «BlacKkKlansman» servaient des pamphlets cruellement magnifiques et tournaient leur sujet en dérision. Si l’histoire est nécessaire, il nous manquera l’art et la manière.

29.07.2021

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