Vortex Belgique, France, Monaco 2021 – 135min.

Critique du film

La déchéance en binoculaire

Critique du film: Laurine Chiarini

«Ce film peut être vu autant par des enfants que des vieux ; c’est mon premier film tout public, et pourtant, c’est le plus dur que j’ai fait». S’étirant sur près de deux heures et demie, traitant de la déchéance inéluctable qui accompagne l’avancée du 4ème âge, pas sûr que Vortex trouve un aussi large public en salles.

Tourné en quelques semaines en plein Covid, l’histoire retrace les dernières semaines de la vie d’un couple d’octogénaires parisiens : elle, atteinte par la maladie d’Alzheimer, erre dans sa tête et se perd dans les rues. Lui, patient, mais pas imperturbable, tente de terminer un livre sur les rêves au cinéma. Au milieu, leur fils, conciliant comme il le peut, mais bien impuissant.

Tourné sur des dialogues improvisés, le film offre une place de choix aux performances de Françoise Lebrun, Alex Lutz et Dario Argento, qui joue le père. À 80 ans, c’est la première performance d’acteur pour le réalisateur italien : alors que les interventions précédant les projections de ses films étaient applaudies comme un spectacle de one-man show, Gaspar Noé s’était demandé pourquoi Dario Argento n’avait jamais été utilisé comme acteur. Le décor, un appartement aux couloirs labyrinthiques tapissé d’affiches et rempli de livres, représente la vie du couple, un passé que le père refuse de quitter lorsque survient la question du déménagement en maison de retraite alors que son épouse, désorientée, ne reconnaît plus son propre foyer.

Personne n’échappe au dilemme de la vieillesse ; entre désespoir, impuissance et résignation, chacun y fait face à sa manière. Là où Amour de Michael Haneke dépeignait une décision – et une réaction – radicales face à une fin inexorable, Vortex accompagne patiemment le difficile cheminement du désapprentissage. Ainsi se pose la délicate question du libre arbitre : à quel moment une personne, qui visiblement représente une menace pour elle-même, peut-elle être contrainte pour son propre bien ? N’importe qui peut, un jour, se retrouver à jouer les parents de ses propres parents, situation contre nature et point de bascule sans retour dans laquelle se retrouve le fils, lui-même empêtré dans des problèmes d’addiction.

L’écran est divisé par l’utilisation d’un split screen. Remplaçant le traditionnel champ / contrechamp, une telle méthode permet de rendre de manière plus fidèle le point de vue propre à chaque personne. Mais le split screen, c’est également la cassure entre les deux univers inconciliables du mari et de la femme : alors qu’ils partagent le même appartement, chacun évolue dans son propre monde spirituel. Couplée à l’absence – volontaire – de directives du réalisateur, cette façon de diviser en deux mondes un seul espace donne lieu à des moments puissants purement accidentels, comme lorsque la mère, se mettant à pleurer, semble dominer l’espace dans un quasi-dédoublement alors que son époux lui saisit la main.

De nature presque documentaire, mais d’accès difficile, Vortex a le mérite de dépeindre une réalité universelle brute et sans fard, empathique, mais pas larmoyante, d’une clairvoyance douloureuse à laquelle le monde moderne refuse de faire face. Sur fond d’émissions de radio faisant office de « voice-over » intermittente et traitant ironiquement du processus de deuil, le père se plaît à citer une phrase d’Edgar Allan Poe, qui à elle seule résume l’absurdité de l’existence tout en la rendant supportable : la vie n’est-elle pas un rêve dans un rêve ?

(Critique dans le cadre du 74e Festival du film de Locarno.)

20.04.2022

3.5

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